Interview de l’été
Mercredi 27 mai, dix heures du matin. Je pousse la porte de l’Hôtel de Clèves, somptueuse demeure de la fin du XV
Mercredi 27 mai, dix heures du matin. Je pousse la porte de l’Hôtel de Clèves, somptueuse demeure de la fin du XV
esiècle, à deux pas du Palais des Beaux-Arts. Je vais y rencontrer Peter Rotsaert, programmateur à la Cinémathèque royale de Belgique, également connue sous le nom un peu barbare de
Cinemateket sous celui, bien plus poétique, de
musée du Cinéma.
Voilà, je pénètre dans le petit bureau ; l’interview commence.
Comment êtes-vous devenu programmateur à la Cinémathèque ?
Lorsque j’ai entamé ma formation au HRITCS (équivalent flamand de l’INSAS) — à quelques pas d’ici —, je voulais être réalisateur. Mais je me suis vite rendu compte que je n’aimais pas trop le travail de metteur en scène. J’ai horreur de marchander avec les acteurs, de passer mon temps à négocier. Après la rédaction de mon scénario de fin d’études, je me suis donc orienté vers la programmation, et cela fait quinze ans que je travaille en cet endroit que j’ai tellement fréquenté depuis l’époque du HRITCS. J’y voyais des quantités de films, souvent trois dans une soirée, et je prenais beaucoup de notes… que j’ai toujours et que je n’ai jamais relues… Cela m’aide considérablement dans mon travail actuel.
La Cinémathèque a connu une dure crise au début des années 2000. Comment se porte-t-elle aujourd’hui ?
On ne peut pas dire que tout aille pour le mieux, mais la situation s’est stabilisée. On peut continuer à travailler. En particulier, la numérisation de notre fonds constitue un défi considérable à relever. L’arrivée d’un nouveau conservateur, grand spécialiste de cette question, Nicola Mazzanti, est, de ce point de vue, une chose très positive. Par ailleurs, une nouvelle direction est toujours stimulante car elle permet de remettre à l’honneur des pans entiers de notre collection en portant sur elle un regard neuf. C’est ainsi que nous sommes notamment en pleine redécouverte de l’avant-garde américaine, dont nous abritons des merveilles, qui furent présentées, pour beaucoup d’entre elles, lors du festival
EXPRMNTL
de Knokke (cinq éditions, de 1949 à 1974).
Quels sont vos projets pour la rentrée de septembre ?
J’en ai au moins trois. Tout d’abord une programmation sur le thème des comédies fantastiques, celles qui mêlent romantisme et fantastique. Elle s’intéressera à des films plus ou moins connus. Citons-en trois :
le Cottage enchanté
(
The Enchanted Cottage
, 1945) de John Cromwell,
Une question de vie ou de mort
(
A Matter of Life and Death
, 1946) de Michael Powell et Emeric Pressburger,
l’Aventure de M
me
Muir
(
The Ghost and Mrs. Muir
, 1947), de Joseph L. Mankiewicz. C’est un domaine très riche.
Mon deuxième centre d’intérêt sera la violence au cinéma. Non seulement du point de vue historique mais aussi, et peut-être surtout, du point de vue pratique, en tant que moteur du récit. On considère souvent que les bagarres, dans les westerns notamment, sont des passages obligés, indispensables, mais qui arrêtent l’action. Je voudrais montrer au contraire comment les scènes de violence font avancer le film, sont essentielles pour la narration même. C’est flagrant dans l’une de mes œuvres préférées, le formidable
Rio Bravo
(1959) d’Howard Hawks. Les scènes d’action y sont très courtes, parfaitement bien placées et dosées ; elles donnent au film une extraordinaire fluidité.
Enfin, et cela rejoint un peu le premier projet, j’ai envie de travailler sur les contes de fées et les fables pour adultes au cinéma…
Quel a été pour vous le film de l’année ?
Impossible pour moi de répondre à cette question. Mon attention n’est pas du tout braquée sur l’actualité cinématographique.
Quel livre pensez-vous emporter en vacances ?
24/7 : Late Capitalism and the Ends of Sleep
(
24/7 : Le Capitalisme à l’assaut du sommeil
), de Jonathan Crary, un essai sur les rapports entre sommeil et capitalisme, qui présente le repos comme le dernier bastion contre l’aliénation capitaliste. Un livre idéal pour les nuits d’insomnie…
Quelle destination envisagez-vous pour vos vacances ?
Un lieu calme en pleine nature. L’Écosse, ou la Corse…
Karoo vous proposera en septembre prochain un long entretien avec Peter Rotsaert. En voici un avant-goût estival.