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création culturelle

Joker : Folie à deux

Dernière danse

En 2019, Todd Phillips frappait un grand coup en portant à l’écran une histoire originale sur l’un des méchants les plus célèbres de la pop culture : le Joker. Cinq ans plus tard, il remet le couvert, avec cette fois-ci une comédie musicale mettant en scène Lady Gaga aux côtés de Joaquin Phoenix. Alors, suite oubliable ou coup de folie génial ? Un peu des deux.

Lors de sa sortie, Joker a fait l’effet d’un raz-de-marée dans le monde. Pour preuve, son Lion d’or à la Mostra de Venise en 2019 ainsi que ses recettes s’élevant à plus d’un milliard de dollars. Outre les chiffres, le film était salué pour sa réalisation, qui s’éloignait de ce qui se faisait généralement dans l’univers des super-héros, ainsi que pour le jeu d’acteur démentiel de Joaquin Phoenix, alors au sommet de son art.

Interné à l’asile d’Arkham depuis ses crimes du premier volet et en attente de son procès, Arthur Fleck tente ici de se remettre sur le droit chemin. Lorsqu’il rencontre à l’asile Lee Quinzel, qui deviendra Harley Quinn, c’est l’amour fou. Elle poussera Arthur à redevenir celui qu’il aurait dû être depuis toujours : le Joker.

Lorsqu’en 2022 Todd Phillips annonce qu’une suite à Joker est en préparation, le monde trépigne d’impatience. Cette suite est présentée comme une comédie musicale avec Lady Gaga dans le rôle de Harley Quinn et s’intitulera Joker : Folie à deux. Un cocktail qui, sur le papier, avait tout du film grandiose.

Après un générique sous forme de cartoon old school montrant Arthur en lutte avec son alter ego, Joker, Folie à deux nous replonge dans la même ambiance lourde et anxiogène que le premier film. Nous retrouvons Arthur, les traits marqués et en sous-poids, à Arkham, où son quotidien monotone est exposé. Et là, première surprise : il ne prononce pas un mot pendant de longues minutes. À la place, Todd Phillips le filme tel un pantin au regard vide, dénué de joie, simplement guidé par des ordres. Lorsqu’il prononce enfin ses premières paroles, la magie opère immédiatement : Phoenix est décidément fait pour incarner le personnage.

Après cette introduction envoûtante, la rencontre avec le personnage de Lee Quinzel nous est présentée. Pour celles et ceux qui s’attendaient à une Harley Quinn totalement déjantée et imprévisible, comme l’avait incarnée Margot Robbie auparavant dans le Suicide Squad de David Ayer (2016), vous risquez d’être déçu·es. Ici, le personnage est plus sur la retenue. Ses interactions avec le Joker sont peu nombreuses, et elle passe davantage de temps à chanter qu’à dialoguer. C’est dommage, car il y avait là une belle opportunité d’offrir à Lady Gaga une chance d’exprimer sa folie, comme elle peut si bien le faire dans son univers musical. De son côté, Phoenix évolue dans un registre différent du premier film : il est plus emprunté, plus en proie à des questionnements intérieurs. Au fil de leurs échanges, les deux protagonistes tombent amoureux l’un de l’autre.

Cet amour est notamment mis en scène à travers diverses séquences musicales. Véritable nouveauté et particularité de Folie à deux, celles-ci éblouissent par leur mise en scène. Que ce soit dans les décors ou la chorégraphie, tout est fait pour emporter le spectateur dans la démence des personnages. Malheureusement, elles finissent par prendre trop de place au fil du film, au point que certaines s'enchaînent à quelques minutes d’intervalle à peine. Entre ces scènes, on découvre le procès d’Arthur. Ce mélange, qui oscille en frénésie musicale et dialogues argumentatifs, donne au film un rythme assez particulier, comme s’il ne savait pas sur quel pied danser.

Le procès, justement, est un élément presque central de la narration : il propose de donner la parole à plusieurs antagonistes du volet précédent. En questionnant le fait de savoir si Arthur est pleinement responsable de ses actes ou si les sévices qu’il a subis durant son enfance sont la cause de cet alter ego n’est pas inintéressant, loin de là. Cependant, le sujet étant le Joker et Harley Quinn dans Folie à deux, le public a le droit d’attendre des étincelles, de la noirceur et de la violence. 

Que ce soit dans les comics ou dans les précédents films sur Batman, le Joker a toujours été présenté comme un personnage dérangé et dangereux. Il suffit de prendre pour exemple l’interprétation de Heath Ledger dans le Dark Knight de Nolan ou même celle de Jack Nicholson dans le Batman de Tim Burton. Si c’était le cas dans le premier Joker, on retrouve moins ces traits ici. Il en va de même pour la Harley Quinn incarnée par Lady Gaga, qui est beaucoup trop « sage », alors qu’à l'origine, le personnage est censé être malsain et violent.

Ce changement de ton radical entre les deux films est peut-être son plus grand défaut. Là où Joker avait réussi à séduire le public, c’était avant tout grâce à son ambiance lourde et pesante, qui montrait les conséquences que peuvent avoir le rejet d’une personne par la société. Folie à deux se concentre davantage sur la question de savoir si Arthur est victime de sa double personnalité ou, au contraire, s’il la maîtrise et en joue. Cependant, ce second volet n’est pas pour autant un film inutile. Mais il n’est pas non plus indispensable. Étant donné le succès du premier, il n’est guère étonnant que Folie à deux existe : l’industrie à Hollywood est (souvent) faite ainsi. Pourtant, on sent que le réalisateur voulait plutôt ici s’amuser et offrir sa vision de ce qu’aurait pu être la rencontre entre les deux personnages. Grâce à son talent de metteur en scène, Folie à deux est un bon film, visuellement réussi et comportant une certaine audace. À noter la bande-son sublime, toujours composée par Hildur Guðnadóttir, qui avait déjà travaillé sur Joker.

Malheureusement, la direction prise par Todd Philips n’a pas su séduire grand monde, comme le prouvent les critiques souvent piquantes et ses recettes au box-office. Folie à deux n’aura pas réussi à reproduire l’exploit du premier, à savoir emporter son spectateur. Le film est peut-être arrivé au mauvais moment, à savoir dans une société qui frôle elle-même la folie.

Même rédacteur·ice :

Joker : Folie à deux

Réalisé par Todd Phillips
Avec Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Zazie Beetz
États-Unis, 2024
138 minutes

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