Jouissance est un livre vagabond et solitaire. Né sans auteur, et donc sans intrigue, il a dû combler ses pages blanches seul pour exister. Doté d’un verbe fougueux et débordant d’anecdotes croustillantes, il a choisi de devenir une autobiographie. Ce récit inédit est son histoire, ains i que celle des nombreux lecteurs qui ont rythmé sa vie.
J’ai refermé ce livre interloquée, stupéfaite par tant d’originalité, d’insolence et d’authenticité. Et surtout, avec une terrible envie de partager ma lecture. Mais comment résumer un tel ovni littéraire ? Comment expliquer un livre où le narrateur n’est autre que le livre lui-même ? Un livre qui transforme ses lecteurs en protagonistes ?
« Mais qui êtes-vous, lecteur, un être en herbe ou en gerbe ? Je n’en crois pas mes lettres, vous avez donc mordu, savez-vous dans quelle drôle de galère vous vous embarquez ? C’est un coup tordu, vous vous êtes laissé entraîner par un titre sommaire, sans avoir pris le temps de tout calculer. Mais enfin, enfant d’Adam et d’Eve, que faites-vous ici, dans le corps d’un verbe précocement éjaculé ? »
La relecture de la première page m’a mis la puce à l’oreille. Jouissance y explique avoir choisi stratégiquement ce titre pour attirer les lecteurs dans les griffes de son récit. Mais pourquoi un tel choix ? Qu’évoque la jouissance aux hommes et quelle est sa place dans ce roman ? En quête de réponses, j’ai décortiqué cet obscur opus à la lumière de ce nouvel indice. En m’attardant sur la moindre bagatelle, je me suis répétée : « Mais pourquoi un tel titre ? » En voilà une question essentielle : de quoi ce livre se jouit-il tant ?
[Pourquoi un tel titre ?] Et si tout s’expliquait par le fond (sans vilain jeu de mots), car voilà bien un livre qui donne à voir la jouissance sous toutes ses coutures.
Jouissance fait la part belle à la sensualité et au plaisir charnel lorsqu’il nous livre les détails du coït en bibliothèque dont il a été le témoin. S’éloignant de l’érotique, il illustre avec autant de justesse le désespoir et la malice lorsqu’il narre l’arnaque d’une femme de ménage sur un millionnaire. En se remémorant l’histoire de ce pauvre homme obligé de vendre sa petite-fille pour lui offrir un avenir, il dépeint la misère et l’infortune. Empruntant aux codes du thriller, il dénonce finalement la fureur et la démence dans un remarquable remake de Shining .
Et en même temps qu’il raconte la jouissance dans tous ses états, de la sexualité à la quête de profit en passant par la débauche et la monstruosité, ce livre se jouit lui-même de mettre à nu ses lecteurs avec tant d’inconvenance. Le ton est caustique, scabreux, narquois.
[Pourquoi un tel titre ?] Justement pour sa plume acerbe autant qu’osée, qui fait rougir le lecteur, même le plus dévergondé. Pour son verbe impitoyable, saoul de métaphores sexuelles, et qui se définit lui-même comme « non apprivoisé », « précocement éjaculé », « clochard » ou encore « fugitif ».
[Pourquoi un tel titre ?] À y regarder de plus près, sa forme est tout autant interpellante. Dans ce livre, peu de ponctuation, pas de majuscules et à peine quelques chapitres. Jouissance est une phrase interminable qui presse le lecteur et l’essouffle jusqu’à l’extase. On referme ce livre vidé et honteux d’avoir joui si rapidement.
[Pourquoi un tel titre ?] Parce que tout plaisir à une fin . On se rit et on plaint les lecteurs de ce livre, protagonistes navrants et misérables, jusqu’à ce qu’on réalise qu’on en est un ! Dans un rebondissement final remarquable, Jouissance se termine par une invitation, qui sonne à vrai dire plutôt comme une condamnation :
« voulez-vous continuer l’aventure, en accouchant vous-même, ci-après, de votre plein gré, vos cons de secrets, et enrichir de votre propre vie ma chair, ici même, sans euphémisme, ni circonlocution, avant que je le fasse à votre place, car sur votre compte, on en entend de belles aussi, et ce n’est point pour vous divertir plus longtemps que je vous le signale, voulez-vous avouer quelques-uns de vos absurdes secrets, comme un grand, ou une grande, afin d’épuiser, sans trêve, les plaisir intarissables de votre vie grotesque, et d’ensevelir dans ma veine la dépouille mortelle de la mort ? »
L’arroseur arrosé et le lecteur dénouement. Pas un point, même final, seulement des pages blanches qui, on le comprend trop tard, seront noircies par notre propre infortune.
[Mais enfin, pourquoi un tel titre ?] En bref, pour le savoir, il faut prendre part à l’intrigue, il faut à son tour oser devenir lecteur (et protagoniste). C’est risqué, c’est exténuant, mais il est certain que vous aussi, vous y prendrez votre pied !
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