Kurt’s brain
C’est sur ces propos d’un Krist Novoselic atterré que s’ouvre le documentaire HBO, Cobain : Montage of Heck . Patchwork sombre et psychédélique composé de home videos , d’images d’archives et d’animations, Brett Morgen a entrepris un projet risqué : reparler d’une des légendes du rock moderne.
La revue Kinovore de l’ULB a vu Kurt Cobain : Montage of heck au festival Anima 2016.
Complétez sans plus attendre notre avis avec le leur .
It’s all there plain as day, I should’ve said something, seen it coming.
Sans surprise, on y voit bien des interviews – entre autres – de ses parents, de son ex-femme Courtney Love, ainsi que de Krist Novoselic. Le monde imaginaire et concret de Kurt Cobain (février 1967- avril 1994) est aussi brillamment évoqué, outre son histoire personnelle (ou plutôt l’interprétation qu’en ont ses proches).
Le documentaire porte bien son titre de « montage of heck » (traduisez plus ou moins par « montage bordélique »), avec ses vidéos d’époque traitant de sujets d’actualité (reaganisme, la peur de la radioactivité, american dream déçu) et la ville natale des Cobain, une Aberdeen industrielle et déprimante. La poésie mélancolique et musicale des longs plans sur la vie urbaine de l’Amérique post World War II (morceaux acoustiques moins connus, faces B du groupe) alterne avec des passages plus « concrets » d’entretiens, d’extraits de journaux télévisés, etc.
On comprend l’intention du réalisateur de fournir « toute la vérité, rien que la vérité » sur l’esprit intense et électrique de Kurt Cobain. Il y a cependant quelque chose de dérangeant à devoir regarder ces home videos . J’ai eu personnellement des difficultés à apprécier l’alternance des dessins et des images d’enfance de Cobain avec les témoignages de son entourage, qui en parle comme quelqu’un qui voulait « se sentir appartenir à une famille, être normal ». Lorsqu’on sait les rapports tendus qui existaient entre eux, un décalage étrange et malsain se fait ressentir.
La fin du film culmine sur une impression de terrible gâchis et de tragédie grunge moderne, en enchaînant sur une vidéo brouillonne et pour le moins inquiétante, où Courtney et Kurt se filment complètement drogués. Tant d’intimité était-elle nécessaire, alors que les animations et autres extraits de son journal intime nous permettaient d’éviter l’indécence et de comprendre suffisamment de choses sur ce qu’il était ?
Tout de même, le documentaire se distingue. Ce qui constitue sa particularité, ce sont les séquences animées imaginées par le dessinateur néerlandais Hisko Hulsing. Elles sont basées sur une série d’enregistrements sur cassettes audio réalisés par Cobain en 1988 et retrouvés par Brett Morgan. D’après la famille Cobain, la véracité de leur contenu reste à prouver, mais Kurt y raconte posément sa première relation sexuelle, ainsi que la première fois qu’il a fumé de la marijuana et qu’il a songé au suicide. Ces passages animés donnent corps au récit et le portent. Ils permettent d’aborder l’intimité et la complexité déroutante de l’artiste d’une façon vive, tout en restant distant et, d’une certaine façon, respectueux. D’autres animations sont utilisées dans le film, par exemple pour animer des extraits de son journal intime, « mis en mouvement » ou numérisés. Publié en 2004, on y retrouve des croquis, des BD, ainsi que ses réflexions sur la célébrité, la musique, la drogue, et des listes de ses disques et artistes préférés. Leur publication, orchestrée par sa femme, avait d’ailleurs suscité l’étonnement et la colère de certains fans, mais la joie et la curiosité des autres.
Restent de nombreuses zones d’ombre. On sait que Courtney Love a revu et coproduit le documentaire, et que Dave Grohl n’a pas eu l’occasion d’y participer de façon soutenue (il était occupé par un autre projet), ce qui n’a pas fait l’unanimité chez les fans du groupe. Le documentaire aurait pu tout de même être entièrement voyeuriste et partial, être un rite d’adoration malsain d’un saint maudit, mais il s’en sort relativement bien. Après son avant-première, la fille unique de Kurt, Frances Bean, aurait déclaré : « C’est le film que j’aurais aimé voir. » Elle n’avait que deux ans en avril 1994 quand son père a choisi de quitter la scène comme il y avait été symboliquement propulsé : par la violence magistrale d’un coup de fusil.
https://www.youtube.com/watch?v=LDYgIwP0G74