La fille de la piscine, c’est le grand saut dans l’adolescence. Dans son premier roman, Léa Tourret dévoile les confessions et les commentaires cyniques, blasés, drôles mais aussi terrifiants de Léna, jeune ado submergée tant par ses relations amicales et amoureuses que par ses fantasmes.
C’est en mai 2022 que Léa Tourret nous livre les pensées d’une adolescente dans son premier roman La fille de la piscine , publié chez Gallimard. Après avoir suivi des études de philosophie à Paris , Léa Tourret s’est tournée vers l’écriture. D’abord intéressée par les romans fantasy, l’autrice réalise rapidement qu’elle a besoin d’avoir vécu, d’avoir ressenti et de comprendre ce qu’elle écrit. C’est ainsi qu’elle nous propose un premier roman hyperréaliste, dévoilant les perceptions crues et sensuelles d’une adolescente.
Léna passe son été à la piscine avec Max, sa meilleure amie. Elle vient de rencontrer Sabrina, une fille de l’année supérieure qui se joint à elles pour bronzer. Les vacances d’été semblent se passer à merveille alors que les meilleures amies rencontrent deux garçons : Yannis et Lounès. Peu à peu, une rivalité s’installe entre Léna et Max qui mène à une rupture entre les deux copines lorsque Max parvient à embrasser Lounès avant Léna.
Le roman semble dépeindre une ambiance torride, dans laquelle il ne se passe pas grand chose, mais à bien y regarder, la narratrice raconte l’âge cruel et fragile de l’adolescence, où s'entremêlent la pression sociale, le rapport au corps et à la sexualité. Léa Tourret aborde l’adolescence de manières très évocatrice pour le lecteur et la lectrice. On y reconnaît dès les premières pages la pression sociale que subit la protagoniste qui, face à sa meilleure amie, est forcée de sauter du plongeoir :
Derrière moi, Max siffle, impatiente :
- Mais saute, tu attends quoi ?
[...]
- Putain mais t’as trop peur de sauter en fait ?
- Mon maillot est en train de se barrer, j’ai pas envie de me retrouver à poil en bas, je dis en faisant demi-tour.
Silence. Un silence qui vibre juste un peu à cause des battements irréguliers de mes cils lorsque je contourne le garçon minuscule qui s’aventure gaiement à ma place sur le plongeoir.
Max se marre.
Cette pression sociale est constamment liée à l’effet que Léna produit sur les autres et est ponctuée par toute une série de contraintes. Elle doit être « fraîche » devant les garçons, leur témoigner de l’intérêt, les séduire mais pas trop, pour ne pas passer pour une « désespérée » ou une « chaudasse morte de faim ». L’obsession du corps se manifeste chez tous les adolescents, filles comme garçons qui se regardent et se jugent mutuellement :
Je passe devant deux garçons du même âge que moi.
Le premier regarde sa propre poitrine, la tête baissée, les mains enserrant ses bras, concentré, comme s’il essayait de contracter ses pectoraux. L’autre a rabattu sa serviette de bain sur son short, plaqué sur son sexe [...].
Quand on lit la manière dont Léna se compare aux autres et la façon dont elle critique les corps de chacun, on comprend la quête, propre à l’adolescence, de son propre corps et de sa place parmi les autres, mais également de ce qu’elle renvoie.
Le roman divisé en trois parties gravite autour de la « trahison » de Max. Après avoir rencontré Yannis et Lounès, Léna est très attirée par les deux garçons, surtout par Lounès que Max embrasse en premier. De cet événement découle une rupture entre les deux copines, et Léna décide de se venger. Le choix de l’hyper réalisme est réussi puisque j’ai pu reconnaître les ressentis de la protagoniste, qui, en tant que véritable adolescente de 2022, se venge de Max en affichant cruellement un nude de sa meilleure amie sur les réseaux sociaux :
C’est à ce moment-là que j’ai sorti mon portable pour montrer à Sabrina un selfie de Max, un nude, avec la bouche entrouverte où le flash faisait briller un filet de bave tendu entre ses dents trop petites, la peau luisante, pris avec un angle qui lui faisait un corps bizarre et plein de plis, et surtout un regard de meuf qui se la raconte alors qu’elle ne devrait pas.
Si cette photo sort, je meurs
m’avait prévenue Max.
[...]
Coude contre coude et côte contre côte, on avait fait tourner la photo sur snap avec un gloussement ravissant et victorieux.
En quelques secondes, on a pu mesurer l’ampleur de son succès.
Je crois que jamais une des photos de Max n’avait autant tourné.
Si l’autrice soulève des questions intéressantes liées à l’adolescence aujourd’hui, on peut regretter parfois le manque de profondeur dans certaines dimensions. Léa Tourret effleure des thématiques qui me semblent intéressantes à développer davantage. Par exemple le rapport à la sexualité dont la narratrice témoigne à la fin du roman. Elle décrit une scène de sexe et ses ressentis sur son premier rapport avec Yannis. Ce qui est étonnant, c’est que le chapitre commence directement avec la scène de sexe, sans expliquer comment les deux ados en sont arrivés là. Le texte paraît alors abrupt, et étonne le lecteur ou la lectrice :
Ma main cherche un appui sur le mur gravillonnant en esquivant la caresse d’un lierre grouillant de vie (j’ai déjà repéré une limace pleine de toxines que des garçons hilares avalent par défi et qui se mettent plus tard à grignoter peu à peu leur cerveau, ainsi qu’une araignée soyeuse qui s’est enfuie en roulant du cul comme Sabrina dans sa jupe taille haute).
La bite de Yannis dans ma bouche, les oreilles aux aguets, je compte sur lui pour m’avertir si jamais quelqu’un débarque.
Toutefois, l’objectif du roman ne me semble pas vouloir décrire les « dramas » et les amours de Léna le temps d’un été, mais plutôt de faire office de réceptacle à toutes les pensées cyniques et humoristiques de l’adolescente. C’est pourquoi la narration est truffée de réflexions qui partent dans tous les sens. Ainsi, la succession des évènements n’est pas toujours très fluide.
L’autrice aborde une autre dimension propre à l’adolescence : Léna se sent incomprise et mise à l’écart de l’enfance et de l’âge adulte. Ce ressenti s’illustre par les réflexions quasiment génériques des parents que la mère de Léna ne manque pas de faire :
Vous, les jeunes, vous ne pensez à rien.
Cela me rend un tout petit peu triste de penser à ma mère et à ses phrases toutes faites. Moi aussi, tu sais, j’ai été adolescente, quand elle me reproche de ne pas ranger ma chambre ou de m’habiller comme je veux (quand je mets un crop top). Cette manie de nous mettre dans le même sac, moi, Max, Sabrina, Thaïs, Ermeline, Yannis et Lounès aussi et pourquoi pas Adam. Comme si on était tous les mêmes, comme si c’était une maladie temporaire qui nous rassemblait dans l’adolescence.
Le style cru, piquant et cynique de Léa Tourret est selon moi la force du roman. Les amateurs et amatrices d’humour noir ne manqueront pas de remarquer des petites réflexions inquiétantes parmi les descriptions de la narratrice :
Max continue d’avancer devant moi sur le trottoir en évitant de marcher sur les traits [...]. Alors, en ce moment précis, je suis un peu confuse, je réfléchis, je cherche à comprendre dans quel but elle veut que je me sente mal, mais je ne trouve pas. Est-ce qu’elle ne serait pas jalouse, elle aussi ? Est-ce qu’elle ne serait pas comme les petites pestes du film qui ont harcelé Carrie ?
Tout ce que je sais c’est que si je poursuis son raisonnement, je n’ai plus qu’à faire comme dans le film :
Buter tout le monde.
Buter tout le monde en commençant par elle.
Si on peut regretter parfois le manque de profondeur de l’histoire, La fille de la piscine de Léa Tourret étonne par son ton provocant et drôle. Le roman, fluide et évocateur, captive et donne envie de de creuser davantage le sujet de l’adolescence contemporaine dans laquelle les réseaux sociaux et l’accès à la sexualité prennent une place de plus en plus importante.