critique &
création culturelle

La Petite et le Vieux

Un récit initiatique léger et naïf

Près de 15 ans après la parution du roman éponyme de Marie-Renée Lavoie, le réalisateur québécois Patrice Sauvé adapte l’histoire touchante de La Petite et le Vieux sur grand écran. Empli de bienveillance, c’est un film à regarder (et à écouter comme diraient les québécois) pour passer un bon moment.

Hélène (Juliette Bharucha), petite fille de 10 ans vivant dans un quartier ouvrier de Québec dans les années 80, s’identifie fortement au personnage de Joséphine La Petite Mousquetaire qu’elle regarde à la télévision. Se décrivant comme brave et courageuse, Hélène veut tellement ressembler à son héroïne préférée qu’elle décide que, dorénavant, elle s’appellera Jo. Un jour, Jo se retrouve spectatrice du désarroi de son père (Vincent-Guillaume Otis) qu’elle voit pleurer dans un bus. Quand elle essaie de comprendre ce qu’il se passe, sa sœur aînée (Gabrielle B. Thuot) lui révèle que le travail de leur père le tue à petite dose. Jo se donne alors comme mission de sauver son père de son boulot en travaillant pour gagner suffisamment d’argent afin qu’il ne soit plus jamais malheureux. Pour ce faire, elle bénéficie de l’aide de son quartier et notamment de son vieux voisin Roger (Gildor Roy).

La Petite et le Vieux de Patrice Sauvé est un film qui fait du bien et cela est dû à cette approche quelque peu naïve et douce de l’enfance au travers de Jo. La focalisation de Jo emplit le long-métrage d’une bouffée d’espoir pour progressivement virer vers la désillusion face au quotidien morose des adultes. Cependant, si les sujets relatifs à la vie des adultes sont assez sombres (alcoolisme, pauvreté, mort, maladie mentale), le réalisateur arrive sans trop de mal à alléger ces moments en oscillant gentiment entre le dramatique et la comédie et en évitant de sombrer dans le désespoir. L’arrêt cardiaque de la joueuse de Bingo (Julie Gagné) en devient par conséquent un instant cocasse qui fait sourire.

Comme le titre le stipule, l’essence du long-métrage repose sur l’histoire entre la petite Jo et son voisin Roger. Si la relation entre les deux protagonistes est au départ compliquée, il se noue petit à petit une très belle complicité une fois qu’ils apprennent à se connaître. Cette connexion est intéressante, car elle met en avant deux personnages que tout oppose à priori, mais qui sont amenés à s’entraider et à apprendre l’un de l’autre. Entre deux piques verbales, les deux générations se rejoignent surtout par leur bienveillance commune : Jo est pleine d’empathie vis-à-vis d’autrui et Roger est un vieil homme certes bourru et grincheux, mais doté d’un grand cœur.

L’interprétation que délivrent les comédiens Gildor Roy et Juliette Bharucha (respectivement dans le rôle de Roger et de Jo) est d’ailleurs le reflet de l’estime qu’ils ont l’un et l’autre dans la vraie vie et ça se ressent. La Petite et le Vieux est la première expérience filmique pour la jeune fille alors que Gildor Roy est un vieux de la vieille, bien rôdé au fil de ses expériences, et ce duo intergénérationnel a pu merveilleusement bien s’entendre pour procurer un jeu tout à fait naturel et une belle alchimie.

Dès les premières secondes, l'œuvre de Patrice Sauvé réserve une place importante à la littérature. La citation qui ouvre le film (« Il est idiot de perdre espoir… ») provient d’ailleurs du livre Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway auquel le réalisateur fait souvent illusion. Le choix de cet ouvrage n’est pas anodin, car la narration ainsi que la morale qui en sortent font écho au récit initiatique qu’est en train de vivre Jo. Le vieil homme et la mer revient sans cesse, que ce soit par le biais du père qui s’en souvient de manière nostalgique ou alors sous forme physique et onirique avec Jo qui lit le livre et qui se projette l’histoire dans sa tête. 

Ces moments imaginaires d’ailleurs sont bien amenés, car la réalité et la fiction se confondent aisément. Par le biais d’un montage alterné par exemple, Jo monte sur son fidèle destrier, son vélo, pour partir à l’aventure à l’instar de son héroïne sur son cheval blanc. L’onirisme de ces scènes permet à nouveau d’alléger la gravité de certaines situations.

En dehors du montage alterné, La Petite et le Vieux souffre d’une perte de dynamisme au milieu du film, ce qui rend le temps long avant que le rythme sage adopté au début ne reprenne. Quant à l’image, il y a eu un gros travail sur la lumière qui donne cette impression de surréalisme et d’image léchée lorsque le spectateur est plongé dans l’imaginaire de Jo. Alors que la reconstitution historique du Québec ouvrier des années 80 se veut assez fidèle, le rendu final est peut-être resté par moment un peu trop « propret » que pour y croire totalement même dans les séquences se déroulant dans la vie réelle de Jo et de Roger.

La Petite et le Vieux propose une approche candide qui permet d’aborder avec légèreté des sujets considérablement lourds. Malgré une image un peu trop soignée par moment, le film reste attendrissant voire réconfortant. Jo veut grandir trop vite et prendre trop rapidement son indépendance, mais elle apprend pourtant que si la vie est dure, elle vaut tout de même la peine d’être vécue.

Même rédacteur·ice :

La Petite et le Vieux

Réalisation : Patrice Sauvé
Scénario : Sébastien Girard
Avec Juliette Bharucha, Gildor Roy, Vincent-Guillaume Otis, Marilyn Castonguay
Canada, 2024
104 minutes

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