critique &
création culturelle

L'Amie prodigieuse de Elena Ferrante

La liberté de rompre avec les origines

Naples, années 50. L'Amie prodigieuse, tétralogie écrite par Elena Ferrante, peint l'évolution de deux amies, Elena et Lila. Écrite sous forme de récit autobiographique, cette fresque éclaire, à travers le destin des deux femmes, la condition féminine et prolétaire dans une Italie en pleine mutation sociale et politique.

Elena Greco apprend la disparition de son amie d'enfance, Raffaella Cerullo, dite Lila, avec qui elle a grandi dans un quartier populaire de Naples. Une disparition annoncée, puisque Lila avait toujours prévenu Elena qu’un jour, elle se volatiliserait sans laisser de trace. En réponse au mystère du départ de son amie, Elena se met à écrire leur histoire. De l'enfance à la maturité, l'écrivaine raconte des épisodes précis de la vie des héroïnes, en miroir de la jeunesse italienne de l'époque, soit une génération entière en ébullition.

« Mais rien de ce que nous avions sous les yeux tous les jours, ou de ce que nous pouvions voir en escaladant la colline, ne nous impressionnait. Habitués par nos manuels scolaires à parler savamment de ce que nous n'avions jamais vu, c'était l'invisible qui nous attirait. Lila disait que dans la direction du Vésuve, justement, il y avait la mer. »

C'est un récit des origines, mais aussi d'un départ : la volonté, partagée, de s'extraire d'un monde violent, renfermé sur lui-même, sans réelle perspective d'amélioration. Elena et Lila cherchent une vérité ailleurs, mais sont sans cesse ramenées à leurs racines. Récit d’émancipation, la saga est profondément inscrite dans les luttes sociales de l’époque, que les héroïnes investissent avec l’espoir d’y trouver la clé de leur libération après laquelle elles courent depuis l'enfance.

L'évolution de Lila et Elena est racontée en parallèle, à travers la plume précise de cette dernière. Elles progressent vers des destins divergents. Pourtant, les deux femmes sont en proie aux mêmes doutes, aux mêmes angoisses. Elles s'éloignent et se retrouvent continuellement, se déterminent à la fois dans leur singularité et par rapport à l'autre.

« C'était une vieille crainte, une crainte qui ne m'était jamais passée : la peur qu'en ratant des fragments de sa vie, la mienne ne perde en intensité et en importance. »

La tétralogie, écrite entre 2011 et 2014, se décline comme suit : L'Amie prodigieuse introduit le récit de l'enfance à l'adolescence, Le Nouveau Nom se consacre à la jeunesse, Celle qui fuit et celle qui reste raconte l'époque intermédiaire et L'Enfant perdue conclut la saga avec les épisodes de la maturité et de la vieillesse. Plongée captivante dans l'intimité de deux destins féminins, dans un environnement mouvementé, L'Amie prodigieuse séduit par sa profondeur et par l'authenticité de ses récits. 

Même rédacteur·ice :

L'Amie prodigieuse

de Elena Ferrante
Traduit de l'italien par Elsa Damien
Folio, 2016
448 pages

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