Écrit en 2016 par l’auteur américain Brian Evenson, L’Antre est traduit en français par Stéphane Vanderhaeghe et est publié chez Quidam en janvier 2023. Au cœur de L’Antre, un être sans doute plus tout à fait humain se cache pour tenter d’échapper à sa matérialité. Avec ce roman, Brian Evenson nous force à explorer la décadence des corps à travers une expérience pas toujours agréable.
C’est un refuge logé quelque part sur une planète empoisonnée. À l’intérieur, il est tout seul. Ou plutôt plusieurs. Tous les survivants tiennent dans un seul corps, derrière une porte. Bien calfeutrés à l’intérieur, ils tentent de rallonger l'espérance de vie de ce corps pourrissant avec le temps. Ils tentent de contrer l’oubli, l’oubli d'eux-mêmes et de leurs souvenirs à l’étroit dans une machinerie qui se délite. Ils attendent qu’on vienne les chercher.
X vit dans l’antre, une sorte de caverne hermétique localisée sur une planète. X a été créé par Wollem, lui-même créé par Vigus et Vagus, eux-mêmes créés par Unnr et Uttr, eux-mêmes créés par… où cela a-t-il commencé, déjà ? Dernière impression façonnée par Wollem, X contient en lui tous les autres qui l’ont précédé. Une somme d’expériences qui grouillent en lui, des yeux qui s’ouvrent dans son esprit pour lui souffler quelque information venant de leurs expériences passées.
« J’ai pensé Corde . Je dis je de façon assez souple, bien entendu. Mieux vaudrait dire, Il a pensé Corde, et je l’ai écouté. »
Écrit en 2016 par l’auteur américain Brian Evenson, L’Antre est traduit en français par Stéphane Vanderhaeghe et est publié chez Quidam éditeur en janvier 2023 . On retrouve dans les œuvres d’Evenson un rapport à une violence qui se marque à travers des corps incomplets et mutilés. Après la publication de son premier recueil de nouvelles, La Langue d’Altmann (1994), Brian Evenson est obligé de quitter l’église mormone à cause de ses écrits dont le contenu est jugé trop controversé. Horreur, science-fiction et roman énigme peuvent définir ses œuvres, bien que le côté horrifique dans L’Antre ne se marque pas uniquement à travers des corps détériorés, comme dans La Confrérie des mutilés (2003). Il est bien question de corps dans L’Antre, mais surtout de toutes les formes qu’il peut emprunter, de sa fragilité et des entités qu’il contient.
« Je suis allé jusqu’au miroir pour y contempler mon reflet — qui n’était pas exactement mon reflet, mais quelque chose se situant entre ce que j’étais et ce que X avait été. Et puis, tout en le scrutant, j’ai bougé mon visage pour en faire autre chose. J’ai invoqué Vagus, recomposé mes chairs et redessiné mes traits, ma mâchoire flaccide, mon front plissé, pour lui ressembler. »
Car X doit absolument trouver les matériaux nécessaires pour fabriquer un autre comme « lui » alors que, dans le dehors vicié, il n’y a plus aucune pièce disponible. Il erre dans sa quête et, parfois, quand X reprend conscience de lui-même et qu’il ignore comment il est arrivé là, il sait que ce n’est pas toujours lui qui contrôle ce corps. Pourtant ces autres entités qui l’habitent se fatiguent et se meurent lentement.
« Chaque moment de ma vie efface un peu plus la vie des autres en moi. »
Au cœur de l’antre, se trouve un terminal qui contient en lui toutes les archives des prédécesseurs de X. Abîmé et corrompu, le terminal apprend à X qu’une personne , un bipède, vit en dehors de l’antre. On comprend que cet autre n’est pas comme X, leur corps ont été créés différemment. Et on se demande : lequel des deux est le plus proche d’un être humain ?
Il m’est impossible de comprendre tout à fait la chronologie de L’Antre , c’est comme si toutes les parties de ce roman avaient été mélangées, et Brian Evenson s’en frotte les mains. Il faut relire ce roman à la lumière d’une première lecture, et d’une deuxième lecture et… Ce ne sera pas suffisant. Il faut traquer les indices au fil des pages, comme des miettes de compréhension éparpillées pour faire croire au lecteur qu’il peut saisir ce qui se trame dans L’Antre . Et soudain, la page suivante vient contredire votre théorie, il vous faut tout recommencer. Vous portez alors en vous la même incompréhension des événements que le personnage principal.
Au fur et à mesure que les pages se tournent, je sais que je ne connaîtrai pas la satisfaction d’une histoire résolue. Pour moi, L’Antre n’est qu’un petit morceau d’un roman bien plus long qui ne nous est pas donné à lire. Pourtant, je ne suis pas certaine d’avoir envie de me plonger plus longtemps dans cet univers que je devine hautement macabre. Je veux me cacher les yeux d’un monde que je pressens comme terriblement violent. Seulement, vous avez envie de savoir ce qui s’y passe, et malgré le dégoût qui me sert la gorge, moi aussi.