Le Conte du tsar Saltane
Un opéra enchanteur et bariolé
Au mois de décembre, la Monnaie a ouvert ses portes au Conte du tsar Saltane : un opéra du compositeur russe Nikolaï Rimski-Korsakov inspiré d’un poème de Pouchkine. Dmitri Tcherniakov (mise en scène et décors) et Timur Zangiev (direction musicale) nous plongent dans ce conte enchanté pour un sublime retour en enfance.
L’opéra le Conte du Tsar Saltane a vu le jour en 1900 suite au travail du compositeur russe Nikolaï Rimski-Korsakov et de son fidèle librettiste Vladimir Bielski. Les deux artistes se sont par ailleurs inspirés d’un conte d’Alexandre Pouchkine, grand écrivain et Russe lui aussi, de la première moitié du XIXe siècle.
Dans la ville de Tmoutarakane, trois sœurs rêvent de devenir tsarines. Lorsque le tsar Saltane prend finalement pour épouse la cadette Militrissa, ses deux aînées tremblent de jalousie. Peu de temps après, Militrissa donne naissance à un fils mais le tsar, parti en guerre, n’est pas là pour accueillir le nouveau-né. Ses deux sœurs profitent alors de l’occasion pour comploter leur vengeance avec la vieille Babarikha et font parvenir au tsar une missive lui annonçant que Militrissa a donné naissance à un monstre. De rage, le tsar ordonne que la mère et l’enfant soient jetés à la mer, mais ceux-ci survivent sur l’île de Bouïane. Plus tard, le jeune tsarévitch Gvidone, devenu depuis prince de la cité de Ledenetz, tentera de reprendre contact avec son père qui l’a si cruellement rejeté. Il pourra dès lors compter sur l’aide d’une princesse cygne…
La tsarine Militrissa :
Mon Saltane, mon tsar chéri,
je t’en supplie dans ma détresse,
donne moi une réponse.
Au temps où le tsar aimait sa femme,
il me portait dans son cœur.
Pendant trois longues semaines,
nous avons connu le bonheur.
Quand soudain une guerre à éclaté, je me suis retrouvée seule.
Le soleil a caché sa lumière,
ce fut l’aube de mes tourments.
Où étais-tu ma lumière ?
Ai-je été calomniée,
l’a-t-on ensorcelé ?
Quoi qu’il en soit, le tsar ordonna
Qu’on nous enferme dans un tonneau livré aux flots.
Être aimée
pour être ensuite rejetée,
il n’y a rien de pire !
Mon jeune fils n’entend plus sa mère.
Il dort, son souffle est régulier.
Au début de la représentation, Militrissa s’adresse au public vêtue de manière moderne et sobre, la mine sombre, alors que son fils joue par terre à côté d’elle. On atterrit ensuite à une toute autre époque, dans une atmosphère gaie, bigarrée et drôle… mais Militrissa et son fils restent habillés de la même manière. Ce contraste semble évoquer la collision de notre monde moderne et morne avec le monde imaginaire et merveilleux du conte.
Par ailleurs, Dmitri Tcherniakov explique que dans cette adaptation, Militrissa cherche à communiquer avec son fils autiste à travers son monde imaginaire et les contes qui le peuple, notamment le conte du Tsar Saltane. Une autre interprétation possible à cette dualité serait que Gvidone confond lui-même le réel et l’imaginaire et que c’est à travers ses yeux que nous découvrons l’histoire de la séparation de ses parents.
Tel Mary Poppins1, Dmitri Tcherniakov (mise en scène et décors) nous plonge alors dans un univers où le dessin devient réalité, comme par enchantement. Projetés dans une construction creuse, les traits de fusain et de pastel colorés semblent prendre vie autour des artistes et se matérialisent dans notre monde en trois dimensions. Imaginez ensuite une princesse cygne apparaître au milieu de ce paysage polychromé dans une somptueuse robe de plumes blanches, la tête ornée d’un diadème scintillant : une vision époustouflante dont émane une forme de magie blanche qui n’est pas sans rappeler celle qui se dégage des robes de Peau d’âne dans le film de Jacques Demy (1970).
L’importance du dessin transparaît jusque dans le costume du tsar Saltane ou ceux de ses drôles de boyards2 réalisés par Elena Zaytseva. Ils semblent en effet avoir été coloriés au crayon pour fondre encore davantage le réel dans l’imaginaire merveilleux du dessin animé. Timur Zangiev (direction musicale) décrit la musique de cet opéra comme « empreinte de la même chaleur enfantine que les histoires de Pouchkine » et je dirais que cette impression se dégage du spectacle tout entier, y compris des costumes.
Le tsarévitch Gvidone :
Un amer chagrin me ronge
jour et nuit ;
je suis las
des trente-trois preux,
et de l’écureuil magique :
c’est un prodige, certes, mais aussi une broutille.
si tu veux faire le bonheur d’un preux,
laisse -moi voir mon père à son insu.
L’orchestre fait quant à lui partie intégrante de la narration en accompagnant les mouvements et ressentis des personnages de manière évocatrice et suggestive. Il amplifie ainsi le comique ou la tristesse des scènes qui se jouent sous nos yeux. Pour seul point de comparaison, cette œuvre a suscité chez moi bien davantage d’émotions que Das Rheingold de Wagner (ma première expérience de l’opéra). La mélodie introductive de l’Acte II suggérant le tonneau des deux exilés emporté par les vagues m’a serré le cœur. Le chant de la princesse cygne et la voix cristalline d’Olga Kulchynska m’ont donné des frissons. Enfin, la drôlerie et la légèreté du célèbre vol du bourdon m’ont beaucoup amusée.
À travers cet opéra drôle, magnifique et féérique, la Monnaie nous replonge donc avec enchantement dans notre enfance, à l’époque bénie des dessins animés et des histoires racontées au lit avant de s’endormir paisiblement. Quel plaisir de pouvoir mettre le monde des adultes en pause pour quelques heures…