Le festival de littérature Passa Porta
Malgré l’impossibilité de se rassembler, les amoureux de romans et de mots ont pu profiter d’une semaine sous le signe de la littérature internationale. Lors de cette version digitale du festival de Passa Porta, une multiplicité des voix ont eu l'occasion de se rencontrer.
Cette année, la maison des littératures Passa Porta à Bruxelles a proposé une version digitale de son festival de littérature, organisé tous les deux ans. Du 21 au 28 mars 2021, les auteurs se sont succédé dans les locaux du Passa Porta, de la Monnaie, ainsi qu’en ligne. Ateliers d’écriture, lectures attentives ( close reading ) et interviews ont été organisés, pour le plus grand plaisir des spectateurs à distance. Une édition qui aura permis de toucher une plus large audience, depuis leur salon et leur bureau.
La force de ce festival belge se trouve dans son plurilinguisme : anglais, français et néerlandais se côtoient, tout comme dans la librairie du Passa Porta. Bien que tous les événements n'aient pas été sous-titrés ou accessibles dans les trois langues en même temps, cette formule inclusive aura su trouver son public. Les thèmes de cette année ont su résonner avec l’actualité de ces derniers temps : l’écologie, la migration, les femmes et la notion de pouvoir. Particulièrement intéressée par les interviews women and power et ecology , je place mon expérience du festival sous le signe de celles et ceux qui n’ont pas toujours eu la voix pour s’exprimer : les femmes, les auteures et l’environnement.
Femmes et pouvoir
Adeline Dieudonnée et Geneviève Damas , interviewées par David Courier, ont partagé leurs expériences en tant qu’auteures et au sein de l’univers théâtral. Toutes les deux monteront sur scène pour jouer un texte dont elles sont l’auteur : Adeline Dieudonné jouera la narratrice de son propre roman La Vraie Vie (2018) au théâtre Jean Vilar en juin, tandis que Geneviève Damas jouera dans son spectacle Quand tu es revenu, je ne t’ai pas reconnu au théâtre des Martyrs en mai, si la situation sanitaire le permet. Ces deux écrivaines renversent un narratif, celui de la femme docile ou victime, celle qui attend, celle qui reçoit. Avec son dernier spectacle, Damas revoit l’Odyssée du point de vue de Pénélope, ayant attendu 20 ans qu’Ulysse revienne, lasse de la figure de la femme qui est à disposition. Questionnée par David Courier à propos de son succès rapide en tant qu'écrivaine, Adeline Dieudonné confie le sentiment de libération qu’elle a ressenti en n’étant plus soumise à une contrainte financière : « Maintenant, je peux travailler, aller voir les producteurs, et ils vont m’écouter. »
Ce manque d’écoute pour celles et ceux qui ont rarement la parole, on la retrouve aussi chez Deborah Levy, auteure britannique de Things I Don’t Want to Know (2013) et The Cost of Living (2020), tous deux traduits en français aux éditions du sous-sol. Faisant partie d’une trilogie appelée Living Autobiography , Levy parle d’elle à la première personne pour narrer son enfance, sa vie d’écrivaine et le passage des âges. Par cela, elle se donne une voix, une voix qui compte. Interviewée à distance par Ruth Joos, Levy explique qu’elle cherche à mettre le regard du personnage féminin au centre du monde.
Kérozène, le nouveau roman d’Adeline Dieudonnée, et Jacky , le nouveau roman de Geneviève Damas, sont tous les deux sortis le 1 avril 2021. La troisième living autobiography de Déborah Levy est quant à elle prévue pour le 13 mai 2021, avec sa traduction en français pour le mois d’octobre 2021.
Écologie
Une autre voix qui a trouvé sa place durant ce festival fa étécelle du non-humain. C’est lors d’un atelier de slam que Lisette Lombé , artiste belgo-congolaise aux multiples talents, aura su faire émerger les mots d’une poignée de participants. Inspirés par les films poétiques de Réal Junior Leblanc, issus des Premières Nations au Canada, nous avons été introduits à l’art de cette poésie jetée pour porter la voix d’une nature sacrifiée, bétonnée, monétisée. Lors de cet atelier, chacun d'entre nous aura eu l’occasion de prêter ses mots à cet environnement qui en est dépourvu.
Le festival s’est clôturé avec, entre autres, Lucie Taïeb, maître de conférences en littérature comparée à l’Université de Brest. Avec Freshskills (2020), du nom de l’ancienne île-décharge de Staten Island à New York, Lucie Taïeb questionne la transformation de ce site en parc verdoyant. Interviewée par Anouk Delcourt, elle tente de mettre en lumière ce qu'on préfère ignorer : l'invisibilisation des déchets et le lien étroit entre la ville et ses décharges. Alors que la renaissance d’une certaine nature est vantée par les gestionnaires de ce nouveau Central Park, c’est cette même nature qui a été asphyxiée, comme bâillonnée par les immondices de la ville qui ne dort jamais.
Je ressors de ce festival avec de belles découvertes littéraires et un souci pour le point de vue de celui qui n’est pas toujours en position de force. Un peu plus discrets, un peu moins présents, leurs mots n’en sont pas moins percutants, et nous offrent une autre perspective sur nos sociétés.