Le festival XS du Théâtre National
Les 13, 14 et 15 mars derniers, le festival XS du Théâtre National proposait dix-huit spectacles courts qui permettaient aux curieux de découvrir autant d’univers différents en se faisant rapidement une idée de la richesse de la scène belge, qu’il s’agisse de jeunes créateurs ou d’artistes confirmés.
En une soirée, il était difficile de voir tous les spectacles à moins d’être un professionnel des festivals. On avait donc choisi raisonnablement trois spectacles et décidé de profiter de cette ambiance particulière qui mélangeait à la fois le milieu — les compagnies et les journalistes — et le grand public dans un Théâtre National archicomble dont le moindre recoin était mobilisé. Saluons au passage une organisation tout à la fois au cordeau, accueillante et chaleureuse. Trois spectacles, donc : la performance du groupe Transquinquennal et la double carte blanche proposée par la SCAM/SACD à deux auteurs — David Murgia et Inès Rabadan — pour leur permettre de « rencontrer un artiste d’une autre discipline ou d’investir une autre pratique artistique pour une proposition scénique inédite ».
Avec la Question du contenu Transquinquennal interroge, une fois de plus, « la matière vivante et contemporaine ». C’est une performance concertée, réfléchie et provocatrice. Bernard Breuse, Miguel Decleire et Stéphane Olivier s’attablent façon colloque et annoncent la proposition faite par le National : travailler sur le « j’aime pas ». Après un préambule, on arrive à l’essentiel : visionner et commenter une vidéo assez répugnante qui a battu des records de visionnages et de likes sur Youtube. Le public est rapidement invité à réagir, mais on sent que le trio cherche surtout à pointer le malaise et prouver l’impossibilité du débat en se moquant des réactions choquées et sommaires des quelques intervenants qui tentent de se prendre au jeu. Le format de vingt-cinq minutes n’est sans doute pas idéal. Un flash de cinq minutes avec la projection de la vidéo, un noir et une interpellation brutale du public auraient été plus percutants. Un format d’une heure aurait permis au trio d’installer les conditions d’un vrai débat dont ils auraient pu improviser le développement. L’idée n’est pas mauvaise, mais la réalisation est plus potache que virtuose.
On pourrait insérer ici le lien vers la vidéo. Mais finalement on préfère épargner le lecteur.
Le spectacle proposé par Inès Rabadan et Lionel Lesire est d’une tout autre facture. Inès Rabadan est cinéaste ( à lire sur Karoo ). Lionel Lesire est peintre, scénographe, décorateur, costumier pour le théâtre et l’opéra. Leur background est bien entendu décisif dans En douceur et profondeur — à la fois clé du spectacle léger et grave et clin d’œil aux Filles du bord de mer d’Adamo. Les deux créateurs semblent libérés des contraintes habituelles : les séquences filmées sont magistralement intégrées et dialoguent parfaitement avec la scène. On sent que ce fil narratif a été conçu en même temps que le texte. Et la scénographie regorge de moments d’une beauté somptueuse qui ne servent pas seulement la scène mais la constituent.
Le spectacle parle en gros du rôle du silicone dans la vie amoureuse, qu’il serve à fabriquer la Rolls de la poupée pour célibataire désespéré ou incapable de socialiser ou qu’il permette de modifier le corps d’une femme autant pour attirer les hommes que pour les tenir à distance. Le texte ciselé cueille et déroute par son mélange de sérieux, de gravité existentielle et de clichés pris au premier ou au second degré. Il est remarquablement servi par deux comédiens à la fois en phase et aux antipodes. La pesanteur touchante de Pierre Haezaert contraste avec la légèreté d’Isabelle Wéry (récente lauréate du prix de la littérature de l’Union européenne pour son roman Marylin désossée ). Mais les deux comédiens ont une aptitude égale au lyrisme et au grotesque. C’est la première collaboration d’Inès Rabadan et Lionel Lesire, mais la suite se prépare. Plus d’infos ici .
Même s’il n’a que vingt-cinq ans, on ne présente plus David Murgia. Je l’ai découvert pour ma part à Avignon l’année dernière dans le formidable Discours à la nation d’Ascanio Celestini, grand auteur italien performeur et perturbateur qui a fait de David Murgia son interprète francophone. Il est encore peu traduit en français, mais en attendant de pouvoir lire le Discours , on peut patienter avec Lutte des classes qui vient de paraître chez Notabilia et dont on parlera prochainement sur Karoo.
L’Âme des cafards est une nouvelle première pour le jeune acteur puisque c’est son premier texte. C’est forcément du sur-mesure. La filiation avec Celestini est indéniable, dans la verve, le débit et le recours aux leitmotive, mais le texte est original dans le brassage des influences : l’ambiance de la Métamorphose de Kafka, les revendications des intermittents du spectacle élargies aux chômeurs et aux minorités de toutes sortes, la fraternité ouvrière, les chants populaires (David Murgia chante sur scène, et plutôt bien) et un humour glaçant qui tient dans la formidable aptitude à banaliser les méthodes mi-libérales mi-totalitaires (mais au fond n’est-ce pas un peu la même chose ?) en les détaillant de manière clinique avec un sourire désarmant.
David Murgia n’est pas un artiste engagé au sens seventies du terme. Il s’en explique dans un entretien au Soir . Il n’empêche qu’il a tout compris des enjeux de société et qu’il les traite habilement. Il dispose d’une palette technique impressionnante qu’il contrôle à la perfection « et dans le verbe et dans le geste », comme dirait l’autre. Et même s’il est seul en scène, c’est aussi le travail d’une équipe qu’il faut saluer. On en reparlera fin avril à l’occasion de la reprise, toujours au Théâtre National, du Signal du promeneur du collectif Raoul.