Le parcours infernal
Après les Douze Travaux d’Hercule et Vision , Pierre Megos revient dans un troisième spectacle : #Odyssée , créé au Théâtre de Liège dans le cadre du festival IMPACT 1 . Cette pièce s’inscrit dans la lignée de ses productions précédentes en s’interrogeant sur l’image, le théâtre et le cinéma.
#Odyssée , c’est l’histoire de Mister Peter, qui, après quelques problèmes avec le producteur le plus influent d’Hollywood, tente un come-back avec un projet de film inspiré de l’ Odyssée d’Homère. Le périple du cinéaste dans la réalisation de son projet ne sera pas un long fleuve tranquille. À l’image du voyage d’Ulysse, la production du film sera semée d’embûches. Pour le raconter, la pièce est divisée en trois actes qui représentent les trois phases de réalisation d’un long métrage : la préproduction, la production et la postproduction.
Le texte est presque intégralement en anglais, of course puisque nous sommes à Hollywood, selon l’auteur. En outre, il confie qu’il trouve la langue anglaise plus facile pour l’écriture car elle est plus directe et permet une distance plus grande que le français. Alors oui, pourquoi pas… mais il est difficile d’oublier que les comédiens sont francophones, leur accent ne les aidant pas.
Sur scène (et à l’écran), deux comédiens mais près d’une vingtaine de personnages. C’est là qu’intervient la technique. Dès le deuxième acte, le plateau se transforme en studio de cinéma utilisant la méthode du chroma key . Sol bleu, fond bleu, caméra, lumières, et « ça tourne ! ». Mister Peter interprète le rôle principal de sa fresque cinématographique. Casque sur la tête, cape dorée sur le dos et sandales aux pieds, il s’agite seul dans son décor bleu. Ses pérégrinations sont reproduites sur un écran qui surplombe le plateau. Le comédien y est incrusté en direct dans les décors de circonstance. Grâce à ce procédé, il rencontre d’autres personnages avec qui il peut interagir à l’écran.
Dans le troisième acte, la même technique est utilisée mais en dehors de la fiction cinématographique. Elle permet alors à Mister Peter de discuter avec son équipe de tournage, son assistant(e), son épouse ou son producteur pour résoudre, tel un Terry Gilliam maudit, les nombreux problèmes qui se posent lors de la phase de postproduction de son projet.
Le spectacle joue donc sur la mise en abyme à plusieurs niveaux : Mister Peter essaye de revenir à Hollywood après des mois d’absence tout comme Ulysse revient à Ithaque dans l’ Odyssée . Mais Pierre Megos fait aussi son come-back avec ce troisième spectacle alors que plusieurs années se sont écoulées depuis le dernier. En outre, les deux comédiens, Pierre Megos et Uiko Watanabe, sortent de leurs personnages pour apparaître eux-mêmes sur le plateau pendant un bref moment.
D’autre part, le spectacle est très fouillé et on y trouve de nombreuses références à diverses œuvres sur la création cinématographique. Notamment le Mépris de Moravia, dont le sujet est très proche de celui de la pièce à plusieurs égards, ou encore Birdman d’Iñárritu ou Adaptation de Spike Jonze. Par ailleurs, dans le nom du fameux producteur, monsieur Goldstein, très intéressé par l’épouse du cinéaste, résonne celui d’un certain Weinstein…
Au-delà du discours sur la création et ses aléas, la pièce brasse un grand nombre de sujets : la célébrité, le statut d’artiste, le monde de Hollywood, l’argent, l’amour mais il fait aussi référence aux migrants à travers le voyage d’Ulysse. Tout cela dans une mise en « film » complètement loufoque où scènes réalistes et cartoonesques se mêlent.
Malheureusement, le spectateur se perd dans la multiplication des couches de lecture, la multiplication des sujets traités et la multiplication des personnages. Certaines références sont limpides mais d’autres ne sont pas assez claires. De plus, le procédé technique utilisé, bien que parfaitement maîtrisé, ne fait qu’ajouter à la complexité du tout. L’usage du blue key pour mettre le personnage d’Ulysse en contexte sur l’écran est très impressionnant et ludique au départ, mais finit par devenir assez long et répétitif puisqu’il n’évolue pas beaucoup au cours de la pièce. Pierre Megos semble s’être perdu dans les dédales de son Odyssée en voulant en faire trop, en voulant en dire trop.