C’est au couteau et sans prendre des gants qu’Ellmann dissèque notre société contemporaine capitaliste et patriarcale dans ce recueil d’essais piquants et désabusés. L’autrice prend un malin plaisir à détruire le stéréotype selon lequel les femmes n’ont pas d’humour…
Dans Les choses sont contre nous , Lucy Ellmann pose un regard mordant et féministe sur l’actualité bien morne de ces dernières années. Ses sujets de prédilection ? l’Amérique de Trump et les dérives consuméristes du capitalisme et de la mondialisation. À travers une série d’essais dont la traduction par Claro est inédite, l’autrice nous propose une critique acerbe des vidéos de « Morning Routine » qui pullulent sur Internet, un décorticage de la série culte La Petite Maison dans la prairie ou encore un questionnement existentiel à propos des soutiens-gorges.
« Ils [Les Américains] continueront de saluer leur pays en ruine jusqu'à ce que toute cette contrée soit jonchée de cadavres, de croix gammées et de déchets radioactifs. Ils se réfugieront sur les toits, y organiseront des barbecues, parleront de dieu, de voiture, d’ovnis et de télé-achat jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’autres formes de vie que des insectes résistants au DDT. »
À titre comparatif, on pourrait être tenté de rapprocher le style des essais à l’écriture de Mona Chollet , en tout cas en ce qui concerne l’humour pince-sans-rire et le ton ironique général du recueil. Mais contrairement aux dernières parutions de Chollet, Ellmann est loin du politiquement correct, et se fiche complètement de faire hurler quelques masculinistes (et des fans de polars au passage) avec ses idées. Au fil des articles, elle développe sur un ton humoristique un programme féministe qui est, somme toute, assez simple : les hommes devraient donner tout leur capital aux femmes, et ne plus avoir la parole pendant quelques années pour que ces dernières puissent faire ce qui leur semble juste avec l’argent. Cela permettrait de compenser tous les dégâts qu’ILS ont provoqués (dérèglement climatique, inégalités galopantes, dépareillement des chaussettes au moment de la lessive, conflits armés, destruction de la biodiversité...), et de se venger pour ce qu’ILS ont fait subir aux femmes pendant des millénaires par la même occasion.
« Pourquoi les femmes travaillent-elles pour des hommes ? Non seulement ça, mais maintenant voilà qu’on twerke pour eux ! [...] On est là, à donner des petits coups au plafond de verre avec nos parasols roses, tap, tap, tap… C’est tellement humiliant. »
Ellmann s’inspire librement de Virginia Woolf, essemant des remarques cinglantes à gauche, à droite, au fil du texte, à la manière de cette grande dame de la littérature britannique. L’autrice fait d’ailleurs un gros clin d’œil à cette dernière dans son essai « Trois Strikes » (traduisez « trois grèves ») qui rappelle l’ouvrage Trois Guinées , dans lequel Woolf se demande ce qu’elle ferait si elle disposait de trois guinées (ancienne monnaie britannique). L’autrice des Choses sont contre nous y propose que les femmes se lancent dans trois grèves si les hommes refusent de leur donner tout leur argent : une grève domestique, une grève du travail et une grève du sexe. Elle nous explique à quel point elle a hâte de commencer les deux premières (un peu moins la dernière par contre... et on la comprend !).
Le ·la lecteur ·rice peut se laisser emporter par le style et l’humour décalé d’Ellmann et lire le bouquin d’une traite, ou y revenir sporadiquement, les essais pouvant se lire indépendamment. Pour s’y retrouver, il suffit de jeter un œil à la « Table des mécontentements » qui reprend les titres de ses essais, tous plus loufoques les uns des autres. On peut y lire « Les soutifs, ou la perpète », « L’art perdu du pas-bouger », « Gros Nuls à gogo »... pour n’en citer que quelques-uns. Dans les deux cas, ce recueil nous fera tour à tour grincer des dents et rire à gorge déployée, une merveilleuse manière de s’interroger sur l’absurdité du monde misogyne dans lequel nous vivons.