Dans les Enragé·e·s , son premier ouvrage, Valérie Bah ouvre une fenêtre sur des moments de vie de personnes noires, queer et majoritairement des femmes, dans l’Amérique du Nord des années 1990 et 2000.
Les courts récits se succèdent, dans les traces d’une personne, puis d’une autre. De certaines nous n’entrevoyons qu’un chapitre de vie, d’autres nous recroisons la route au détour d’un récit. Au fur et à mesure, ces trajectoires s’entremêlent, dessinant une communauté unie par des expériences communes de violences sociales, mais aussi par des moments positifs de désir ou d’émancipation.
Le titre, explique l’autrice dans une interview , est tiré du créole haïtien et se joue notamment du stéréotype de la femme noire en colère ( angry black woman en anglais). Les réalités des personnes noires et queer constituent une thématique chère à Valérie Bah. Cette artiste pluridisciplinaire met en lumière leurs résistances intersectionnelles dans des projets écrits, photographiques et filmiques à retrouver sur son site .
Les Enragé·e·s a naturellement trouvé sa place au sein de la collection Martiales, conçue et dirigée par Stéphane Martelly pour les éditions du remue-ménage. En effet, cette collection se veut un laboratoire de création pour des premiers ouvrages d’auteurices issu·e·s des marges. De nouvelles voix sont importantes pour éviter les représentations homogènes et stéréotypées. En centrant son récit sur la population noire et queer du Canada, Valérie Bah offre une autre mise en lumière qui, se rapprochant de la réalité, en souligne le relief et gomme les a priori .
La pluralité de voix qui caractérise cette collection de récits, du « je » au « tu » en passant par le « iel », participe aussi à représenter ces existences diverses sans les extraire de leur rapport aux autres, aspect qui importe beaucoup à l’écrivaine .
Cet ouvrage se démarque aussi par sa langue discrètement savoureuse, avec d’une part l’occasionnelle apparition de mots québécois ou anglais et d’autre part l’utilisation de l’écriture inclusive ainsi que d’un pronom non-binaire pour le personnage de Daphné.
J’ai le fou rire en me souvenant de notre rencontre, dans le parc, toi, moi et ton hoodie géant. Comment tu avais osé me réveiller d’une sieste en exigeant que je te file des papiers à rouler. T’avais rien que dix dollars à ton nom. D’une naïveté incroyable, à peine débarqué·e de la station d’autobus, tu radotais que tu voulais voir les Tam-tams au mont Royal. Quelle horreur. Tu t’en serais sorti·e comment si on ne s’était pas croisé·e·s ?
Comme une mosaïque dont les carreaux s’assemblent progressivement, les Enragé·e·s dessine au fil de ses récits une image de sororité et de résilience.