Page à page, c’est dans un univers grouillant et déconcertant que Julie Trémouilhe accueille son lecteur. Dans Les loups seraient restés des loups , son nouvel ouvrage paru aux éditions La Place, l’auteure offre une histoire poétique qui n’a de sens que celui que pourra lui trouver le lecteur parvenant à déchiffrer son langage aussi vibrant que déstabilisant.
Quelques os qui craquent, une carapace vide, une terre odorante et craquante et un je qui se balade entre la vie et la mort, entre l’être humain et la nature : le paysage est ainsi planté. Et si les humains étaient restés des bêtes sauvages ? Et si leur conscience ne s’était jamais élevée ? Et si la nature était restée intacte ? Et si…? Et si… ? Dans un nuage de poésie, de piaillements et de grouillements, ce n’est pas une réelle narration que le lecteur de Julie Trémouilhe est invité à parcourir, mais une aventure dont la signification est un mystère. Les sens aux aguets, c’est aux rythmes d’une poésie troublante sans rime ni musicalité claire qu’il faut se laisser porter si l’on veut apprécier Les loups seraient restés des loups . Des thèmes s’y entrechoquent, des mots s’y embrassent, des images y dansent et s’y offrent aux yeux de ceux qui osent tenter de donner du sens à ce sentiment de nostalgie étrange affluant de la plume de l’auteure. C’est du mystère et de la découverte qu’il est possible de goûter au fil de ce livre. Les mots font discuter la mort et la vie, se disputer les hommes et les animaux, s’interroger les créatures peuplant la planète et s’ouvrir les yeux du lecteur à ce qu’aurait pu ne pas être un être humain s’il était resté une bête sans conscience de pouvoir posséder ce qu’il n’a pas. Julie Trémouilhe, armée de sa poésie, esquisse la silhouette d’un homme qui n’aurait ni tenté de domestiquer les loups, ni tenté d’apprivoiser la nature comme si elle était sienne.
Par volonté de séparer les fils et de voler si loin. De tirer sur la corde. Bien au-delà du naturel. Il se dit que les loups seraient restés des loups si tous les hommes étaient restés humains. Assis, devant leur parcelle, sans songer à tout ce qu’ils ne connaissent pas.
Poétesse et nouvelliste belge, Julie Trémouilhe est une passionnée des langues et de la littérature. Jeune diplômée en langues et lettres modernes et détentrice du Grand Prix du concours de nouvelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2021, ce n’est pas d’une plume inexpérimentée que l’auteure s’est lancée dans la réalisation de son premier ouvrage Les loups seraient restés des loups publié aux Éditions La Place. Toujours avec la même envie de réveiller cognitivement ses lecteurs à travers des réflexions critiques portant sur une envie de changer le monde, c’est dans la même lignée que sa nouvelle récemment primée Au nord du Nord que s’inscrit le petit ouvrage de 32 pages de Julie Trémouilhe. Réveillant un sentiment d’injustice et parfois même de dégoût dans le coeur de certains lecteurs, cet ouvrage de poésie crue et sans artifice les pousse dans les retranchements de leur humanité, à la recherche de ce qu’était l’homme avant de devenir un être aux meurtres et destructions innombrables. Parfois, il se révèle difficile de comprendre, surtout pour un lecteur non-initié à la poésie et à ses nombreux sens et non-sens, la combinaison de certains mots. En effet, certaines de ces combinaisons n’évoquant aucun référent dans le monde réel, des passages en résultent très flous et demandent une forte réflexion de la part du lecteur. Le résultat de cette réflexion n’est d’ailleurs pas toujours garanti puisque dépendant presque entièrement d’une imagination débridée. Néanmoins, la révolte montant d’une nature abîmée et estropiée est palpable tout au long de cette lecture courte mais puissante. Puissance et non-sens forment d’ailleurs la combinaison gagnante du bref Les loups seraient restés des loups .
L’animal vacille entre les colonnes de bulles. Comment lui parler de la suite. C’est trop bête, éviter les morues pour tomber sur les hommes.
Bien que la prose poétique de Julie Trémouilhe puisse s’avérer complexe, la clarté – et parfois même crudité – de certaines images évoquées par l’auteure lui permet d’évoquer et même de provoquer des sentiments d’une netteté saisissante. Dégoût, injustice, mépris, effrois, surprise s’entremêlent tout au long des pages au fur et à mesure que des corps, des os, des meurtres, des cadavres d’animaux sont dépeints à coups de métaphores. L’art de la photographie, autre passion de Julie Trémouilhe qui travaille notamment pour des revues littéraires et artistiques belges et canadiennes, est sans doute l’une des causes des images fortes et parfois brutales qui sont décrites. Cela rend la lecture plus vivante et permet une meilleure compréhension de cette poésie qui garde tout de même un aspect mystérieux, notamment parce que le narrateur, parlant à la première personne du singulier, reste inconnu. L’interprétation du lecteur peut alors se débrider.
J’irai danser ce soir avec les morts. Tarentelle folle entre les tombes. Pousser les vieilles pierres, le marbre poli. Je descendrai dans le caveau m’agripper à leurs os. Serrer les restes.
Le sens de la formule de l’auteure, bien que très visuel, laisse pourtant peu de place à la narration en tant que telle. Ici, pas d’histoire typique avec un narrateur, une aventure, une quête, une résolution et un final ne laissant pas de place au doute. Car le doute est omniprésent : qui est le/la narrateur/narratrice ? Que veut dire l’auteure ? Quel est le but du livre ? Ces questions peuvent faire peur mais peuvent également motiver une lecture réflexive et active. Une chose est certaine, la lecture est engagée tout comme l’écriture se veut l’être. Des sentiments intenses sont ressentis, et une réflexion profonde sur la ligne fine séparant la vie et la mort, mais également l’humanité de l’inhumain, est encouragée et brandie. Néanmoins, la crudité du langage est parfois telle qu’un malaise s’installe : doit-on avoir peur ? Doit-on en rire ? Est-ce un avertissement ou un simple constat ? Il est difficile de réellement sortir de cette lecture avec un message clair et univoque en tête mais d’aucuns diront qu’il s’agit là du fondement même de l’art poétique. L’esprit critique doit néanmoins être promu : la poésie n’excuse pas un message parfois trop vague.
Il pense à la vitesse de la lumière, à l’espace-temps courbe et toutes les possibilités en suspension. Tous les si, les restes humains. Ce qu’il a été, ce qu’il ne sera jamais. À cause de ce qui s’est joué et ne s’est pas joué. L’histoire de sa vie faite de vies.
Malgré le non-sens qui embrume parfois certains passages de l’ouvrage, le lecteur trouvera pourtant dans Les loups seraient restés des loups un cri d’alerte avertissant qui veut l’entendre contre un être humain peu consciencieux quant à la nature qui l’entoure et dans laquelle il vit. C’est sans doute l’un des enjeux de nos sociétés modernes qu’évoque donc la jeune Julie Trémouilhe de manière poétique. Que l’on soit un amoureux de poésie ou non, cet ouvrage nous transporte dans un univers que l’on pense impensable, souvent insoutenable, où l’être humain n’est plus producteur mais destructeur. Cet univers nous amène progressivement vers une réflexion sinueuse sur laquelle il faut nous pencher : et si les hommes n’avaient pas domestiqué les loups ?