Macbeth
Macbeth : How now, you secret, black, and midnight hags ! What is’t you do ?
All witches : A deed without a name !
(Acte IV, scène I)
Macbeth :
How now, you secret, black, and midnight hags ! What is’t you do ?
All witches : A deed without a name !
(Acte IV, scène I)
Avec Shakespeare, nous dit Ariane Mnouchkine, on est tout petits. Voilà qui vaut pour chacun à des degrés divers : traducteur, metteur en scène, comédiens, spectateurs, critique.
Mais ce qui pourrait tétaniser libère : la force inouïe de cet univers grouillant, terrifiant et jouissif, son énergie , nous offre au centuple ce que nous n’osons communément demander au théâtre… et qui est le théâtre même qui à tous nous est commun.
Quelque chose qui nous appelle, nous provoque, nous intime de penser avec notre corps tout entier, de réagir. Quelque chose qui nous transperce, à la fois mystérieux infiniment et d’une aveuglante clarté , et nous pousse à être.
Ici pas de choix. On est dépassés et on se débat avec nos entrailles, nos troubles les plus profonds, notre fond(s) obscur.
Rien d’étonnant à ce que Pierre Foviau, le metteur en scène inspiré — mais comment ne pas l’être ? — de cette Comédie des sorcières , cite Jung dans sa déclaration d’intention. C’est bien à une plongée en nous-mêmes qu’il nous convie.
Shakespeare, nous dit Mnouchkine, connaît son métier, son public, les moindres ressorts du théâtre populaire. Tout est mis entre les mains du metteur en scène, humble assistant du maître génial, qui n’a plus qu’à se servir — là c’est moi qui commente — dans ce matériau en permanente fusion, et à le projeter jusqu’à nous. A fortiori lorsqu’il s’agit de la noirceur la plus noire, du sang le plus rouge et le plus abondant, des cauchemars les plus effrayants. Lorsqu’il s’agit de l’effroyable tragédie de Macbeth .
Dans le beau spectacle de ce soir à l’Atelier 210, les projections ne manquent pas. Les matières maculent les corps, le sol et les âmes. D’entrée de jeu, Macbeth est marqué de la rouge souillure. Le corps exsangue de Duncan hante le lieu. Le sang caillé du blême Banquo en fait un spectre digne d’intérêt. Et si Macbeth cauchemarde ses crimes impunis, Lady Macbeth se frotte compulsivement les mains que rien ne saurait purifier.
Ce qui se dit, ce qui se montre — j’avais écrit monstre — ici, c’est l’ivresse folle du pouvoir, la maladie du crime exponentiel, le vertige de l’épouvante et de la mort. La tragédie du malentendu, de la fausse assurance d’un Macbeth terrorisant et pitoyable, abominable et lâche.
Tout était prévu. Les trois Fatales, au milieu des fumées et des éclairs stroboscopiques, avaient prononcé la vérité. Plus tard, elles rassureront Macbeth par leur énigmatique prédiction, mais l’avancée de la forêt de Birnam, et le surgissement de l’homme qui n’est pas né d’une femme, viendront confirmer la condamnation.
Le spectateur n’est pas indemne. Plusieurs fois, les acteurs s’adresseront directement à lui qui, à son corps défendant,
fera partie
de l’entourage de Macbeth, sera son hôte, son convive.
Après l’entracte, le dispositif qui attend le public — acteurs/personnages affichant la décontraction, saluant, souriant, faisant fi absolument du quatrième mur comme des trois autres — est particulièrement efficace et troublant. Nous sommes de plain-pied avec l’horreur qui s’annonce sous des atours trompeurs.
Mnouchkine encore : mettre en scène Macbeth , c’est trouver la vérité des visions. Affronter les scènes des sorcières, la scène du poignard, celle du banquet.
Difficile, voire impossible, de se montrer à la hauteur du génie — nous sommes petits. Par contre, il faut prendre à bras le corps les actions et les balancer sur la scène, qu’elles éclaboussent le spectateur. En ce sens, malgré quelques lourdeurs et facilités bien pardonnables, Pierre Foviau et sa troupe font le travail avec une belle conviction . Certes, les notes de guitare heavy et les chorégraphies peu inspirées gênent un peu, mais la plupart du temps, actrices et acteurs — sans oublier l’actrice/chanteuse — sont d’une inventivité réjouissante. Si le fond sonore rend à quelques rares occasions leur texte peu audible, c’est du contraire qu’il faut les féliciter : de la clarté et de la fluidité avec lesquelles ils nous transmettent paroles et silences. On perçoit dans leur jeu engagé mais aussi parsemé de clins d’œil ironiques, dans leurs improvisations audacieuses, leurs déambulations ou leur immobilité tendue ou relâchée — souvent les personnages inactifs s’installent de part et d’autre de la scène dans de vieux et profonds fauteuils et observent leurs partenaires, ou le public — une grande et communicative connivence. Et une conscience très vive du rythme , de la coexistence entre grotesque — clownesque1 — et tragique.
Les comédiens sont convaincants : Macbeth, habité de toutes les contradictions, de l’insolence à l’effroi ; Lady Macbeth, le visage tendu, parfois comme guettant les réactions de l’assistance ; Duncan/Malcolm, joué par la même actrice — perruquée puis chauve — fascinante et précise ; Banquo/Macduff, impavide et droit ; les sorcières, inquiétantes à souhait ; sans oublier l’histrion, brillamment facétieux.
Certaines trouvailles, comme ces ballons géants et colorés représentant les gardes de Duncan, s’inscrivent judicieusement en contrepoint de la pesanteur ambiante.
Le tout devant la porte rouge et menaçante de l’Enfer.
Ma conclusion semblera étrange — naturellement étrange — mais je suis sorti vivifié et détendu de ce bain de sang…