À travers une mise en scène moderne de l'œuvre Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler, sortie en 1924, Jeanne Dandoy emporte le spectateur dans un tourbillon d’émotions profondes. Au cœur du théâtre, les larmes succèdent aux rires et les souffles se brisent au rythme de la vie de Miss Else.
Else a quinze ans. Jeune fille généreuse, lumineuse, elle devient peu à peu une femme. Elle s’apprend, se découvre, alors qu’elle passe ses vacances dans un grand hôtel, accompagnée de sa tante. Son corps se transforme, ses premières règles débarquent, elle devient adulte tandis que ses pensées révèlent encore son jeune esprit. Touchante par ses questionnements, ses nombreuses curiosités sur cette transformation qu’elle vit, elle respire la fraîcheur d’une vie qui commence. Malheureusement, ce qui pourrait être une douce période devient vite dramatique, quand sa mère lui annonce au détour d’une conversation que son père risque la prison. Il doit rembourser trente mille euros au plus vite, ce criminel de père qui s’est attiré des ennuis. Si elle veut sauver son paternel, c’est à elle de trouver l’argent. Sa mère lui insuffle alors une idée : soutirer l’argent à cet ami de la famille, ce monsieur Van Dorsday qui a toujours apprécié Else. Emportée par les vices des adultes, la jeune fille se retrouve tourmentée, déchirée entre son désir sexuel naissant, son enfance perdue et l’ordre de sa mère. Refuser de sauver son père ? Accepter la proposition indécente de Dorsday pour quelques billets ? Else perd pied dans ce monde bien décidé à détruire son innocence et à lui arracher son consentement.
Jeanne Dandoy reprend l'œuvre d’Arthur Schnitzler et lui offre une seconde jeunesse. Déjà assez moderne dans son propos original, la metteuse en scène révèle ici des questions nouvelles à partir du même récit. Si dans l'œuvre de Schnitzler , Else était une jeune fille dont le désir était écrasé par la bien-pensance de son époque, cherchant désespérément à laisser s’exprimer ses ardeurs nouvelles, le propos est ici bien différent. La jeune Else découvre certes son désir naissant, son nouveau corps de jeune femme, mais se retrouve surtout confrontée à des personnes malintentionnées. Van Dorsday, âgé de 55 ans, prend l’ascendant sur elle et la domine de son autorité. La pièce questionne alors la possibilité de dire non à une personne de pouvoir. Quelle est la valeur du consentement d’une enfant de quinze ans ? L’histoire de Schnitzler prend ainsi des proportions nouvelles et touche profondément le spectateur d’aujourd’hui.
La pièce, en plus d’être parfaitement réinterprétée, est jouée brillamment par des acteurs talentueux. Epona Guillaume, âgée de 20 ans seulement, interprète une Miss Else bouleversante . Elle s’adresse au spectateur, l'interpelle, le touche avec force. Elle incarne parfaitement ce mélange entre enfance et âge adulte, l'adolescence troublée entre corps mature et esprit innocent. Elle nous montre ce cheminement de vie, cette période marquante de la vie humaine où tout semble noir ou blanc, avec brio. À son tour, Alexandre Trocki interprète un monsieur Van Dorsday parfaitement détestable. Dans son rôle, il ne se contente pas de montrer un monstre cruel, mais laisse apparaitre toute la complexité de ce bourreau qui, finalement, n’est qu’un homme. Il est ce père, cet oncle, ce grand-père que chacun connait et qui, sous les couches de bienveillance, révèle ses vices. Les deux acteurs, seuls sur scène, portent la pièce, emmènent le spectateur avec eux, appuient l’histoire par leur talent respectif.
La technique ne laisse également pas à désirer ! Le décor, élégant, simple, permet de se concentrer sur les personnages et le jeu des acteurs. Le choix de rideaux fins, fluides et transparents, permettant d’entrapercevoir chaque partie de la scène, sert le propos, créant un sentiment parfois de mystère, parfois de honte, de surprise et de secret. Les costumes aussi, à première vue de simples tenues de ville d’aujourd’hui, se révèlent bien choisis pour révéler le caractère des personnages. Ils appuient leur personnalité, la jeune Else est colorée, originale, un peu fofolle, tandis que Van Dorsday est classique, image typique de l’homme de bien en société. L’usage aussi d’une veste en aluminium qui, comme un miroir, renvoie le reflet des lumières transpose cette idée d’une jeune Else qui se perdrait dans les attentes de l’autre. Savamment choisi, ce décor sert le propos sans jamais l’alourdir.
Finalement, la pièce est sublimée par un jeu de lumières original, appuyé par une musique forte et entrainante. Le choix de reprendre des chansons modernes, comme « Bad guy » de Billie Eilish, renforce l’ancrage contemporain de la pièce, tandis que les rythmes puissants intensifient l’émotion. Les lumières, surtout ce jeu de vidéos vers la fin de la pièce, permettent d’assoir en puissance le final d’une représentation mémorable.