C’est avec un film inclassable, mais aussi poétique, que Harry Cleven revient, dix ans après avoir réalisé Trouble . Le scénario est simple : un garçon invisible, Mon ange, vit une romance avec Madeleine, une petite fille aveugle. Voulant découvrir à quoi il ressemble, elle part se faire opérer les yeux.
Antoine de Saint-Exupéry écrivait que « l’essentiel est invisible pour les yeux ». Ce n’est pas Harry Cleven qui le contredira car son film est avant tout une immersion sensorielle, qui se crée en partie grâce une caméra subjective omniprésente. En jouant avec celle-ci, le réalisateur parvient à capter non seulement le visible, mais aussi l’invisible. Nous, spectateurs, sommes les yeux de Mon ange : comme lui, nous contemplons Madeleine, nous entrons en immersion totale avec ses sens. Quand elle lui parle, c’est comme si elle s’adressait à nous. On pourrait presque donner une odeur ou un goût à ce film tant nos sens sont décuplés à sa vision.
En plus de nous retourner la tête avec brio, Mon ange peut aussi nous faire rire par des scènes incongrues. Il est vrai qu’une scène de cache-cache entre un garçon invisible et une petite fille aveugle n’est pas chose courante au cinéma, en témoigne d’ailleurs une salle hilare. Magique et onirique, Mon ange est loin des drames sociaux qu’on a l’habitude de voir. Son côté fantastique est rafraîchissant mais il est aussi dérangeant. Un stylo écrit tout seul, un livre s’ouvre, des objets bougent par magie. Ici, les effets spéciaux gênent un peu même s’ils sont créés à l’ancienne, à la Méliès ou à la Cocteau. Si on peut admettre qu’ils donnent un certain charme au film, on peut aussi parfois regretter leur manque de subtilité. Harry Cleven aurait pu se contenter de suggérer l’invisible mais les effets prennent parfois le dessus et produisent finalement un effet de lourdeur qui a tendance à décrédibiliser le film. Mon ange reste donc en permanence en demi-teintes, oscillant entre poésie et maladresse.
Il faut aussi souligner la force des trois actrices jouant Madeleine, plus ensorcelantes et envoûtantes qu’un rite sorcier. Fleur Greffier (l’adulte), Maya Dory (l’adolescente) et Hannah Boudru (l’enfant) sont époustouflantes de beauté. Comme si leur charme ne nous laissait pas encore assez pantois, elles sont sublimées par des cadrages remarquables et une photographie lumineuse, signés Juliette Van Dormael, d’ailleurs récompensée par le Best Cinematography Debut Award au festival Camerimage, et par une nomination aux American Society of Cinematographers Spotlight Awards.
Finalement, on sort du film un peu mitigé, partagé entre le pouvoir onirique qu’il dégage et ses effets peu subtils, parfois trop présents. Heureusement, la poésie prend souvent le pas sur le reste et on doit bien admettre que Harry Cleven signe là une allégorie réussie, marquée par une totale immersion sensorielle. Si les plus cartésiens s’abstiendront, les amoureux de fantastique et d’étrange seront ravis par ce film mystérieux et délicat à la fois.