Mythologie du .12 de Célestin de Meeûs
Une élégante banalité
Dans le cadre de la campagne « Lisez-vous Belge ? », Karoo s’intéresse à Mythologie du .12, le premier roman de Célestin de Meeûs, poète bruxellois, paru aux éditions du sous-sol. Ce thriller psychologique, tout juste récompensé du Prix Stanislas 2024 du premier roman francophone, dévoile une intrigue sous tension et habilement écrite.
Le jour du solstice d’été, Théo et son ami Max traînent sur un parking, enchaînant bières et joints. À quelques mètres, un médecin, dont la vie bien rangée s’effondre, sombre dans un monologue délirant. Dans Mythologie du .12, Célestin de Meeûs alterne les scènes entre ces jeunes et le docteur Rombouts, jusqu’à leur rencontre explosive où tout se déchaîne.
Une plume remarquable
La plume de Célestin de Meeûs sublime la banalité du quotidien en la teintant d’une esthétique singulière. Dès les premières lignes, la description d’un parking nous plonge dans son univers : « Les grandes fenêtres bleues renvoyaient les rayons obliques du soleil et de l’asphalte du parking fondait, formant de petites flaques de goudron noir, nauséabondes, auréolées de halos jaunes, verts, et violets (…) ». La lecture de Mythologie du .12 est très appréciable car son auteur arrive à nous transporter dans un monde à la fois réaliste et embelli à travers ses descriptions précises de lieux, d’ambiances, d’émotions mais également grâce au vocabulaire très imagé, corporel et poétique. C’est sans rappeler les talents de poète de Célestin de Meeûs très souvent récompensé notamment pour Cavale Russe, Ecart-type ou Cadastres.
Durant la première partie du roman, il y a un vrai soin à la description et à l’observation qui prend même le pas sur le récit. En deuxième partie, l’auteur parvient subtilement à faire monter la tension, au travers d’un rythme bien particulier : les phrases ne sont quasiment pas ponctuées, avec régulièrement (plus on avance dans le récit) une phrase unique qui court sur plusieurs pages. Le lecteur est mis sous pression et ne peut que ressentir la tension latente entre nos différents personnages. Le rythme est également dicté par le soleil, le fil rouge du récit, puisque tout se précipite, une fois le soleil couché. En effet, ce n’est pas un hasard si l’intrigue se déroule lors du solstice d’été, c’est le jour le plus long de l’année mais aussi le plus lumineux. C’est dans ce contexte que Célestin de Meeûs arrive à brillamment manier le rapport au soleil et à la lumière.
« Inondées de soleil, les vitres renvoyaient la lumière et les reflets des arbres et quelques nuages blancs et lourds posés comme à l’emporte-pièce sur le ciel bleu ».
Une opposition stéréotypée pour un débat classique
Dans son sujet, Mythologie du .12 est une réécriture contemporaine de l’éternel débat des « anciens » contre les modernes. Nos deux personnages principaux (Théo et Dr Rombouts) diffèrent sur de nombreux points : leur âge (l’un vient d’avoir 18 ans, l’autre est dans la cinquantaine), leur statut socio-économique (l’un est un médecin fortuné, l’autre un lycéen sans possession), leur tempérament (colérique contre réservé). En bref, deux vies que tout oppose. Pourtant, ils partagent une vision pessimiste du monde : l’angoisse du futur, comme le Dr Rombouts qui a « (…) cette peur profondément enfouie de ne pas être « à la hauteur » (…) » ; leur honte de soi, comme dans ce passage où Théo explique être « baigné ou envahi par une honte diffuse et néanmoins puissante » ; et enfin, leur nostalgie du passé.
Théo et le Dr Rombouts sont finalement le reflet de notre société polarisée entre une jeunesse inquiète du futur et en pleine déconstruction des normes sociétales, et de l’autre, des adultes dépassés par ces changements et en proie à une nostalgie réactionnaire (comme le décrit le Dr Rombouts, « cette génération (les jeunes) était irrévocablement perdue »). Ce sont bel et bien deux générations, ici stéréotypées, qui ne se comprennent plus alors qu’ils ont tant en commun. Nos deux protagonistes sont très intéressants, certes, mais manquent de nuance. Tout comme la trame narrative qui est assez prévisible, l’opposition entre ces deux hommes manque de subtilité. Célestin de Meeûs a pris le risque de traiter, à travers la fiction, un sujet aussi universel que les conflits intergénérationnels de notre société actuelle et malheureusement, cela manque d’originalité.
Mythologie du .12 est une lecture plaisante, notamment grâce aux talents de poète de Célestin de Meeûs qui se reconnaissent dans le choix des mots, le souci du détail et la finesse de ses phrases. Cependant, l’intrigue et les personnages manquent de profondeur et pourraient laisser certains lecteurs sur leur faim.