Valérie Donzelli fait son grand retour au cinéma avec Notre Dame , une comédie pleine d’inventivité et d’intelligence en prise avec les bouleversements politiques et sociaux actuels, sur lesquels la réalisatrice propose un regard décalé et un humour imprégné d’absurde qui sont les bienvenus.
Mère de deux enfants et ayant des difficultés à se séparer de leur père, Maud Crayon vit à Paris. Elle travaille dans un cabinet d’architectes où elle peine à s’accomplir. Un jour, nouvelle insolite, elle gagne le concours d’un projet de réaménagement du parvis de Notre-Dame pour redonner du souffle à « la République, à la religion et au tourisme ». S’ensuit pour elle une série de mésaventures et d’imprévus, dont les retrouvailles avec un amour de jeunesse, qu’elle devra surmonter pour s’affirmer pleinement. Elle pourra toutefois compter sur l’aide de son bien sympathique collègue (Bouli Lanners) et de son amie gynécologue (Virginie Ledoyen).
Le film offre ainsi un récit à la progression narrative originale, le concours gagné par Maud Crayon prenant d’abord des atours de conte merveilleux (au sens propre comme au figuré) pour ensuite ne lui apporter que contraintes et problèmes. Entre une vie familiale et personnelle chamboulée et son projet d’architecture critiqué et qui bat de plus en plus de l’aile, elle doit trouver sa place. C’est donc au portrait d’une grande finesse d’une femme à la dérive que nous convie Valérie Donzelli, où, par un habile dosage, la fantaisie prend le pas sur l’apitoiement. À certains égards, on peut identifier des résonances entre ce film et celui de Léonor Serraille, Jeune Femme , un autre beau portrait d’une femme en lutte dans le Paris d’aujourd’hui, dans lequel des touches drolatiques sont aussi présentes.
Notre Dame de Valérie Donzelli regorge d’une vitalité, d’une fraicheur et d’une audace qui rappellent son bouleversant La Guerre est déclarée , où elle délaisse ici davantage le drame familial pour une comédie romantique avec en toile de fond un Paris sur le qui-vive . Sa mise en scène est à nouveau parsemée de couleurs pop et chatoyantes, de dialogues vifs et savoureux, truffée d’effets de surprise, que viennent appuyer un riche éventail de musiques et de voix off finement écrites. Le film est porté ici et là par des envolées lyriques et des échappées poétiques.
D’une séquence à l’autre ou au cœur d’un même plan, Valérie Donzelli ne cesse en effet de nous surprendre, de changer de registre avec aisance. De purs ressorts comiques et gags, nous passons subitement à une séquence onirique dansée, plus tard à une autre chantée. Prenons l’exemple de la fameuse séquence de plaidoirie de Bacchus Renard (Pierre Deladonchamps), qui se termine dans la panique avec les alarmes qui sonnent pour ensuite se retrouver dans une salle de cinéma silencieuse et endormie où les personnages se mettent à chanter. Valérie Donzelli nous balade d’un espace à un autre, imaginaire ou non, et ne s’embarrasse pas d’une recherche de continuité narrative et spatiale. L’intrigue ne cesse de basculer pour notre plus grand plaisir de spectateur.
Des mauvaises nouvelles en pagaille qu’on entend à la radio dès l’ouverture du film ; des sans-abris sous la pluie ; une crainte et une perte de contrôle qui semblent toucher la population ; la vie de famille dans un petit appartement parisien exigu et la solution moderne du airbnb ; un parvis de Notre-Dame sujet à des aménagements (bien avant que les flammes endommagent la cathédrale). Valérie Donzelli émaille son récit de bouleversements sociaux mais aussi architecturaux qui ont lieu dans la capitale parisienne.
À ce propos, pour sa façon de filmer et de représenter Paris, Notre Dame peut faire penser à deux autres grands films sortis cette année : Synonymes de Nadav Lapid et It Must Be Heaven de Elia Suleiman . Le premier, avec sa mise en scène et son montage déroutants, nous montre un Paris filmé vers le bas, la tête de Yoav baissée, la caméra ne tenant pas en place. It Must Be Heaven capte un Paris dépeuplé, filmé frontalement dans des plans fixes investis de bruits mécaniques et d’actions absurdes. Notre Dame semble venir compléter ces trajectoires parisiennes de notre temps, avec ici des plans sur la capitale filmés en hauteur voir en apesanteur et où ne cesse de décoller de la fantaisie, de l’énergie, du merveilleux et du cinéma.