critique &
création culturelle

Nouvelles Sonorités

Une quête de liberté qui mélange musique et sciences-fiction

Nouvelles Sonorités est un recueil de douze nouvelles mélangeant musique et science- fiction. Publié par Livr’S édition, une maison d’édition spécialisée dans l’imaginaire, le projet rassemble plusieurs auteurs et les pousse à travailler autour du thème de la musique, comme des témoignages de sociétés nourries de rêves et de contraintes.

Début 2024, Livr’s éditions lance un appel à projet. Le but ? Trouver des auteurs pour que chacuns écrivent une nouvelle avec pour seule indication : musique et science-fiction. Ce n’était pas la première fois que cette maison d’édition met en place ce genre de projet. En effet, avant Nouvelles Sonorités, ils avaient publié Nouvelles de l’Ouest, des histoires qui mariaient « western et horreur ». Des auteurs et autrice ont ainsi été soigneusement sélectionné·es.

Ceux-ci vont, de manière individuelle, grâce à la science fiction, donner à la musique une place unique dans leurs histoires. Accordant leurs écritures comme un orchestre composé d’instruments tous différents mais partageant un même but : permettre au lecteur une liberté de s’approprier les mots sans contrainte visuelle claire. En effet, le son prend une place plus importante que l’image dans la description des décors et des aventures. Le lecteur se retrouve ainsi uniquement guidé par une multitude de sons. C’est à travers cet accord que nos musiciens vont faire de ces douze nouvelles un témoignage : celui d’une société nourrie par une multitude de rêves et de contraintes qui se chevauchent, jouant avec les limites de l’enlacement.

En effet, chaque nouvelle est unique et manipule les sons différemment. Dans certaines (« Le Rat à l’oreille cassée », « Le Multi-Instrumentiste », « Dernier rappel », « Et la voix du King », « Les Lunes jumelles de Kazantis », « Cosmic Circus, Symphonie pour le vide », « Les robots ne chantent pas ») le son prend une place à part entière aux côtés de nos protagonistes. Il a une forme quasi humaine, on se méfierait presque de sa sournoiserie. Le son agit et évolue dans l’histoire comme s'il possédait lui-même des traits de caractères. Cette « personnalité » qui lui est propre valse avec une ribambelle d’émotions, provoquant parfois méfiance, parfois admiration chez le lecteur.

Par moments, le son sert d’ancrage, symbolisant le réconfort. Dans « Le Multi-Instrumentiste » de Pascal Malosse, Robert, le personnage principal, ne se sent pas compris en tant que musicien. Il trouve alors refuge dans le passé, jouant dans des réalités parallèles avec un tas d’instruments. En fin de compte, nos personnages, épris par leurs tourments, y voient une bouée à laquelle s’accrocher. Mais certains oublient qu’elle explose et se vide de son air si on la sert trop fort. Le silence qui suit laisse alors place à une fatalité universelle : nous sommes qui nous sommes, dans notre entièreté. Ces histoires révèlent selon moi énormément de questions, pour certaines actuelles, pour d’autres éternelles. C’est par exemple le cas dans « Les robots ne chantent pas » de Paige J. Eligia. Cette nouvelle met en scène une réalité parallèle dans laquelle il est interdit de chanter ou de parler trop fort pour ne pas dérégler les infrastructures technologiques. La nouvelle suit Rose, une jeune fille qui se questionne sur la place de la musique (du chant en particulier) dans la société. Elle finira par privilégier sa passion aux règles et en mourra.

« Rose…, soupira-t-il. Nous vivons en société, donc nous devons respecter ses règles. »

Dans d’autres nouvelles, le son ne sera plus un acteur de notre histoire mais chaque mot transpirera sa présence (« La Berceuse d’Hinon », « Magma », « Dissonance en colère majeure », « La Boite à musique »). La description du décor se fera à travers lui. On privilégiera le son aux couleurs, le craquement du plancher au type de bois qui le compose, le bruit du silence à la description d’une larme qui s’écoule le long d’une joue. Cette préférence d’écriture donne à l’histoire un aspect poétique et permet une immersion inhabituelle mais riche dans celle-ci.

« Il se remémorait les douces soirées estivales passées là, […] le pépiement des oiseaux s'apprétant à regagner le nid. » (« Dissonance en colère majeure » de Céline Saint-Charle)

Notre société est en plein changement. Des discours choquants, une révolution technologique qui fait peur un jour et rêver le lendemain, et des chiffres effrayants dénonçant des conditions de vies dramatiques font la une des journaux. Le taux de dépressions et de burn out ne cesse de croître… Nouvelles Sonorités explore ces thèmes, exagérant presque ces réalités. C’est en manipulant le futur proche ou lointain, des réalités parallèles mais semblables à la nôtre, le passé mais surtout le présent que ces douze nouvelles nous immergent dans ce monde. Les auteurs et autrices représentent à travers la science-fiction des petits bouts de notre société, manipulants des comportements humains avec lesquels le lecteur peut s’identifier.

Les personnages cherchent à fuir leurs réalités, s’y perdent, toujours guidés par la musique. Celle-ci, capable de faire ressortir des émotions enfouies, bouleverse à chaque fois. Ce chamboulement illustre l’urgence d’une prise de conscience de qui nous sommes, de notre monde et des autres. La peur fait les gros titres, et pour l’affronter il faut s’accorder, comme dans un orchestre. Les musiciens se doivent d’être à l’écoute les uns des autres. C’est ce parallèle entre notre société et les mondes proposés qui ne nous sont pas si étrangers, qui fait selon moi la force de Nouvelles Sonorités.

Chacune de ses nouvelles se complètent l’une l’autre, chacune explore, voyage, expérimente, sous un prisme différent les rapports sociaux, environnementaux et sociétaux. Bonheur supplémentaire, des musiques choisies par les auteurs et autrices sont conseillées pour nous accompagner dans cette puissante lecture au début de chaque nouvelle. Nouvelles Sonorités prouve une fois de plus que la musique ne s’arrête pas à une note mais à un ensemble de paramètres capables de provoquer des émotions libératrices. L’écriture aussi.

Nouvelles Sonorités

Des nouvelles de : Guillaume Beck, Xavier Watillon, Jean-Pierre Favard, Jack Machillot, Aude Lapadu-Hargues, Céline Saint-Charle, Claire-Eliane Delhove, Pascal Malosse, Gabriel Queste, Paige J. Eligia, Guillaume Renouard.
Livr’s éditions, 2025
422 pages

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