La plateforme Netflix propose-t-elle vraiment des contenus progressistes, ou le #féminismeetdiversité est-il pour elle un argument de vente comme un autre ? Je continue cette interrogation avec la sitcom One day at a time. Attention : multiples spoilers !!
One day at a time est un sitcom classique : format court (épisodes entre 20 et 30 minutes), rires enregistrés, deux ou trois décors par épisode, scénarios humoristiques partant de la vie quotidienne. Ce qui le différencie des sitcoms habituels : la diversité des personnages représentés ainsi que les thématiques engagées abordées. Créée par Gloria Calderón Keller et Mike Royce, One day at the time s’inspire de la série éponyme sortie en 1975. Elle est diffusée uniquement sur Netflix depuis 2017 et compte trois saisons – Netflix n’a pas commandé de quatrième saison et le rachat des droits est en cours pour continuer la série sur un autre support.
Contrairement à beaucoup de sitcoms qui nous vendent une vie idyllique de trentenaires dont les seuls problèmes sont les relations sentimentales1 , One day at a time aborde des thématiques politiques et sociales. Elle relate la vie de la famille Alvarez ; cette famille d’origine cubaine a pour cheffe une mère célibataire, Penelope, qui a souvent du mal à boucler les fins de mois, n’est pas toujours heureuse dans le cadre de son travail et prend des antidépresseurs.
Les sujets du racisme – avec de nombreuses piques à l’administration Trump et aux conditions de vie dégradées depuis son accession au pouvoir –, de l’homosexualité – Elena, la fille de Penelope, fait son coming-out dans la deuxième saison –, de la maladie mentale – avec la dépression et les crises d’angoisse de Penelope –, ou encore du féminisme sont abordés.
Mais le ton global de la série reste humoristique et les problèmes des personnages, même s’ils peuvent être graves, trouvent toujours des solutions grâce à leurs bons sentiments.
One day at a time propose donc des représentations et thématiques rafraîchissantes dans l’univers des sitcoms : personnages principaux latinos, homo, de genre non binaire (comme se définit la copine de Elena, Syd), âgés. L’amour ou le mariage ne sont pas les buts ultimes de la vie des protagonistes. Illes sont engagés politiquement, chacun dans leur domaine. Pour finir, les femmes sont indépendantes, puissantes et intelligentes. Malgré tout, la série reste du divertissement et elle s’avale en même temps qu’un plateau-repas.
C’est peut-être à cause de cette ambition de rester à tout prix fun et facile à regarder que certaines thématiques très importantes, telle que le consentement, la transidentité ou encore la précarité, sont traitées parfois de manière superficielle et didactique, un peu entre la poire et le fromage. D’autres épisodes, par contre, au lieu de nous expliquer le « bon comportement » à avoir, nous présentent des situations inédites et très touchantes.
Elena, qui a quinze ans dans la première saison, est une jeune ado rebelle, engagée dans les causes écologistes et féministes. Elle passe ses samedis en manif, elle est très intello, ne se laisse jamais marcher sur les pied. Malgré (ou à cause de) son fort caractère, elle n’a apparement pas beaucoup d’ami.e.s. Elle est souvent le relais des discours didactiques sur les « bonnes manières » de se comporter. Les ressorts comiques du personnage d’Elena sont basés sur ses révoltes constantes et le fait qu’elle est de toutes les batailles. Malgré tout, elle est très attachante et ses combats ne sont pas ridiculisés. Au contraire, si sa famille est parfois fatiguée de la voir remettre sans cesse en question l’ordre établi, elle finit souvent par la rejoindre et l’appuyer.
Son frère, Alex, treize ans au début de la série, est son antithèse : il est très populaire, il ne réfléchit pas énormément, il est moyen à l’école. On insiste aussi dans la série sur le fait qu’il est beau et qu’il a du succès auprès des filles. Il est adulé par sa grand-mère. On pourrait se dire qu’il va s’opposer à Elena, ce qui est parfois brièvement le cas, mais ils finissent toujours par se réconcilier et Alex soutient sa soeur, notamment face à leur père. Celui-ci accepte très mal le coming-out d’Elena et l’abandonne lors de sa première danse de quinceanera2 . Alex la rejoint alors sur la piste.
Finalement, on pourrait dire qu’Elena guide Alex vers une masculinité non-toxique. Alors que leur père est un modèle viril traditionnel plutôt négatif, elle lui fait voir la possibilité d’autres masculinités. Elle le remet notamment en place dans un épisode où il poste une vidéo de lui qui touche les seins de sa copine sur Instagram sans lui avoir demandé son avis.
Là où je trouve que la série reste parfois dans le superficiel, c’est quand la bienveillance constante des personnages les uns envers les autres ne crée pas de véritables enjeux : Elena est casse-ovaire, mais elle a raison, les autres se rangent à son avis, petite morale explicative de « pourquoi-c’est-méchant-d’être-raciste », next épisode. Ce point de vue utopique ne permet pas de vivre de réelles émotions avec les personnages et de comprendre par empathie les thématiques abordées. Des explications complexes sont casées en cinq minutes, ce qui semble effacer tous les problèmes de sexisme ou de racisme pourtant profondément ancrés dans nos sociétés. De plus, les causes des inégalités de genres, de races, d’orientations sexuelles, ne sont jamais mises en cause ou même représentées – exceptions faites des allusions à Trump.
Par exemple, le voisin de la famille Alvarez, Schneider, est un millionnaire canadien. Il est aussi le fils du propriétaire du bâtiment. Il a donc un pouvoir économique et pratique sur la famille Alvarez. Il s’invite tout le temps chez eux, se fait faire à manger par la grand-mère Lydia, dit des énormités en comparant sa situation d’immigré canadien avec le racisme que vivent les cubains. Mais tous les actes problématiques de ce personnage sont tournés en dérision, ou encore sont des raisons de le plaindre : il a une mauvaise relation avec sa famille, il n’est pas très intelligent, c’est un ancien alcoolique. Le comportement impérialiste de Schneider n’est qu’un ressort comique et n’est jamais remis en question comme source d’un vrai problème. Durant un épisode, notamment, Schneider, sous la pression de son père, met l’immeuble en copropriété, ce qui oblige les locataires à racheter leurs appartements ou à s’en faire exclure. Les Alvarez n’ayant pas les moyens, Penelope, furieuse contre Schneider, lui fait comprendre qu’il doit s’opposer à son père pour leur permettre de rester. Ce qu’il fait, choisissant ainsi les Alvarez comme « véritable famille » et brisant ses derniers liens avec son père. Schneider est alors présenté comme très courageux de ne pas mettre à la porte ses amis de longue date… Quant au reste des locataires, il est très net qu’on s’en bat les steaks. La question des disparités de pouvoir économique et des conséquences qu’elles ont est ainsi reléguée à un problème finalement secondaire.
La question de la non-binarité du genre est également traitée un peu par-dessus la jambe. Un épisode de la saison deux met en scène les ami.e.s de Elena. Illes sont tou.te.s chez les Alvarez, et se présentent en mentionnant les pronoms qu’illes veulent qu’on utilise en parlant d’elleux. Cette variation de pronoms est le principal trait d’humour de l’épisode ; bien sûr, Elena nous offre un laïus explicatif sur l’importance de demander aux individus comment ils se genrent, et comment cela remet en question la binarité soi-disant inévitable du genre. Mais malgré la bienveillance évidente, la non-binarité reste une blague d’un seul épisode. Syd, la « sydnificant other » d’Elena, se définit comme non-binaire mais est quand même appelée « la copine » d’Elena… Ainsi ça peut donner l’impression que la transidentité n’est finalement qu’une histoire de pronoms. Le sujet ne revient jamais vraiment sur le tapis et ne pose aucune difficulté. Si l’homophobie et le sexisme sont bien mentionnés et critiqués dans la série lors de plusieurs épisodes, la transphobie n’y existe apparement pas.
Ces épisodes qui effleurent des grands sujets comme s’il s’agissait de parler d’une recette de cupcakes sont contrebalancés par de très belles scènes, beaucoup plus réalistes et subtiles, et surtout non-didactiques. Je pense notamment à la réconciliation entre Elena et son père, qui refusait de la voir à cause de son homosexualité. La scène est très tendue et complexe : Elena a énormément de choses à lui pardonner, mais elle sait aussi qu’elle l’aime et qu’elle a besoin de lui. Elle exprime à quel point il l’a blessée et accepte d’essayer de réparer cette relation devant les excuses sincères qu’il lui fait. Mais cette réconciliation est boiteuse et maladroite des deux côtés, et le temps nécessaire à soigner les blessures n’est pas évité. La situation a été tirée le long de tout une saison, ce qui permet davantage de tensions dramatiques et de complexités. Ainsi, les spectateurices ne reçoivent pas de leçons mais assistent à un morceau de vie douloureux. Il n’est pas ici question d’expliquer pourquoi « l’homophobie c’est pas bien » mais de nous le faire vivre et comprendre de manière empirique, ce qui me semble bien plus efficace et intéressant artistiquement.
Je pense aussi à la dernière scène de la saison trois, ou Penelope assiste au remariage de son ex-mari et remet en question son célibat choisi. Elle finit par se dire qu’elle porte très bien le blanc, et la scène suivante, après un fondu, la présente en robe blanche… Sa robe de cérémonie de remise de diplôme, car elle a refait des études afin de se spécialiser en tant qu’infirmière praticienne. On peut alors comprendre que Penelope trouve son bonheur dans son évolution personnelle plutôt que dans la recherche d’un amoureux, un message féministe sous-entendu et non littéral. Et ça fait du bien.
En conclusion, One day at a time est une série pleine de bonnes intentions. Elle permet d’aborder auprès du grand public des thématiques contemporaines essentielles. Mais le format sitcom crée parfois des scènes pédagogiques assez peu intéressantes dans lesquelles des enjeux de société graves n’apparaissent que comme des punchlines ou des laïus propagandistes. Les discours féministes ou inclusifs peuvent alors paraître très simplistes, ennuyeux ou encore présents juste pour le politiquement correct, plutôt que d’être des enjeux scénaristiques moteurs. Au final, ça me laisse assez partagée : oui, One day at a time est une vraie série progressiste… Mais la simplification à outrance de certains vrais problèmes n’est-elle pas une façon d’édulcorer des combats qui devraient être radicaux et sans concessions ?