Outrages et ravissements
Le festival des Brigittines explore cette année les limites dans ce qu’elles ont de choquant, de troublant ou de provocant et l’expression d’une beauté qui ne soit ni esthétisante ni conventionnelle.
Pour souligner la cohérence de la programmation et les passerelles qui peuvent s’établir entre les artistes et leur projet artistique, le festival propose des séquences courtes qui permettent de voir deux spectacles au cours d’une même séance. Les 24 et 25 août, le public a ainsi pu découvrir Tsunamism – Recital for Two Strings in M d’Elizabete Francisca et Vice Versa de la compagnie Mossoux-Bonté, deux spectacles qui semblent a posteriori construits presque en opposition l’un à l’autre.
L’architecture et l’acoustique particulières de l’ancienne chapelle des Brigittines servent admirablement les deux spectacles qui accordent l’un et l’autre une grande attention aux éclairages et à l’environnement sonore. Le spectateur est immédiatement captivé.
La performance d’Elizabete Francisca est composée avec une précision clinique à partir d’une série de séquences perturbantes et quasi abstraites. Après une séquence sonore dans un espace obscur et enfumé, la danseuse apparaît. La musique s’arrête. Le corps statique se met lentement en mouvement à partir d’un geste simple et répétitif. Chaque séquence semble durer jusqu’à ce que le spectateur, d’abord décontenancé par le paradoxe de la simplicité apparente de ce qu’il voit et la difficulté à lui donner du sens, puisse lui donner un titre. Le corps silencieux. La voix. L’impact de la voix sur le corps. La voix du corps. Le bruit du corps. Tentative d’harmonisation du son, du bruit et du mouvement. C’est à la fois lent et cérébral.
Au fil du spectacle, les éléments sémantiques se multiplient, les avatars de la danseuse, de la chèvre à la nymphe, sont de plus en plus lisibles et le spectacle se conclut sur une scène absurde et quasi triviale qui déconcerte une dernière fois le spectateur tout en le laissant un peu sur sa faim.
Au final, on retiendra surtout la performance assez impressionnante d’une danseuse qui contrôle son corps à la perfection en neutralisant parfaitement toutes les parties qui ne sont pas mobilisées par le mouvement mis en évidence.
Avec Vice Versa de la compagnie Mossoux-Bonté, le spectateur est invité à un parcours inverse. Le dispositif est d’une sobriété et d’une simplicité parfaites. Les éclairages subtils de Patrick Bonté cernent l’espace de jeu principal : un long couloir central qui traverse toute la scène et va être arpenté par les deux danseuses sur l’air de la complainte médiévale les Anneaux de Marianson , interprétée par le Québécois Michel Faubert.
Le spectacle est rythmé par les allers-retours des danseuses et les distiques répétés de la complainte. L’ambiance est lancinante. La poésie médiévale sonne comme une boucle de hip-hop. Une fois la colonne vertébrale de la dramaturgie posée, Frauke Mariën et Shantala Pèpe, qu’on a pu souvent apprécier dans les spectacles de la compagnie Mossoux-Bonté, déclinent leurs déambulations sur une variation de sentiments et de confrontations qui vont de l’harmonie à la rupture, de la séduction au combat. Le spectacle est fascinant, déchirant et sublime, d’une richesse sémantique et interprétative incroyable.
Vice Versa est le premier des récits dansés qui composeront Miniatures, le prochain spectacle de la compagnie Mossoux-Bonté dont Karoo vous parlera.