critique &
création culturelle

La rétrospective culturelle 2025 de Laura

Arrêt sur images

© Johan Kirasson

Des images fortes que j’aimerais encadrer et des explorations culturelles d'ici et d’ailleurs, c’est le résumé de mon année culturelle 2025. Un beau mélange de scénographies inédites, de propos politiques et de beauté artistique.

All We Imagine As Light de Payal Kapadia

Cela fait quelques années que j’ai commencé à regarder des films dont le point de vue n’est pas occidental, où les réalités, les langues et les rythmes sont différents de ce à quoi on est habitué en Europe. All We Imagine As Light, Grand Prix du Festival de Cannes 2024, nous propose de nous arrêter sur le quotidien de deux femmes travaillant dans un hôpital à Mumbai. Bien loin des clichés occidentaux que nous pourrions nous faire du cinéma indien, le film de la réalisatrice indienne Payal Kapadia n’est ni dramatique ni éclatant. Seules les couleurs saturées de cette ville la plus peuplée d'Inde viennent trancher avec la solitude qui se dégage des deux protagonistes. C’est la solitude de Prabha (Payal Kapadia), au mari parti vivre en Allemagne dont la seule présence est l’envoi d’un cuiseur à riz, et de sa colocataire Anu (Kani Kusruti), qui cherche à vivre une relation avec un garçon mulsuman, en dépit des conventions. Une solitude qui s’efface par la relation qu’elles nouent à l’écran, dans laquelle Prabha est d’abord cet œil qui surveille une jeunesse qui cherche à s’émanciper dans l’amour, et qui finit par elle-même pousser les deux amoureux à se retrouver. Tandis que la ville déborde et se fait omniprésente, grâce à des plans de Mumbai de Payal Kapadia qui relèvent presque du documentaire, Prabha et Anu quittent la ville pour passer quelques jours dans un coin de nature. Enfin loin de Mumbai, enfin loin de la masse informe des individus qui vivent enfermés, au rythme effréné de la ville.

Les Mondes de Paul Delvaux (la Boverie, Liège)

Pour moi, la peinture de Paul Delvaux (1897-1994), c’est une reproduction dans l’appartement de mes grand-parents à Saint-Idesbald. C’est l’évocation de ce peintre belge qui avait « sa maison dans les dunes ». C’est avec curiosité que j’ai poussé les portes du musée de la Boverie à Liège, en février 2025, pour une exposition rassemblant une large collection de ses œuvres à l’occasion du 100e anniversaire du surréalisme. Agrémenté de dessins du peintre, d’objets mis en valeur et d’une scénographie muséale très didactique, l’exposition suit l’évolution du style du peintre : du post-impressionnisme vers l'expressionnisme, en terminant par le surréalisme avec lequel on est familier en Belgique. Parmi des tableaux dont les sujets de prédilection sont les femmes et les gares, ma préférence va vers La Gare forestière, qui aurait pu figurer dans un livre de contes pour enfants grâce à la magie qui s’en dégage. Une femme âgée me dit « La petite fille sur le tableau, c’est moi. J’allais regarder les trains quand j’étais enfant ». En sortant du musée, elle m'interpelle pour me dire qu’elle plaisantait. Moi, j’y avais cru.

Paul Delvaux, « La Gare forestière », 1960, © Photo Vincent Everarts

Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof

Huis clos familial, Les Graines du figuier sauvage est un film éminemment politique réalisé par l’Irannien Mohammad Rasoulof. Ayant fait de la prison dans son pays pour avoir déjà réalisé des films critiquant le pouvoir en place en Iran, Rasoulof tourne ce film-là avec une équipe réduite en contournant la censure en place. L’histoire se concentre d’abord sur Iman (Missagh Zareh), père de famille et juriste honnête, qui est promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Alors que le contexte social en Iran s’électrise avec les manifestations nationales du mouvement « Femme, vie, liberté » – qui a eu lieu en 2022 en Iran –, les deux filles d’Iman, Rezvan (Mahsa Rostami) et Sana (Setareh Maleki) y prennent part en cachant, entre autres, une de leur amie blessée par la police lors des manifestations. Iman, qui se rend compte que son travail consistera à présent à valider des condamnations à mort sans étudier les dossiers, commence à se méfier de ses propres filles et de leurs revendications féministes. Prix spécial du Jury du Festival de Cannes en 2024, Les Graines du figuier sauvage joue sur la manière dont la sphère familiale se fait le reflet de la société iranienne. La tension qui se dégage du film prend à la gorge les spectateur·ices, tandis que l’appartement familial revêt un air de prison, où les fenêtres sont parées d’épais voiles blancs qui empêchent tout regard de et vers l’extérieur. Je retiens particulièrement le développement du personnage de Najmeh qui, en cherchant à tout prix à concilier son couple, son rôle de mère et sa place en tant que femme, comprend qu’elle se doit de prendre position face à un mari qu’elle ne reconnaît plus.

Une Maison de poupée (Théâtre Jean Vilar)

Je ne suis pas arachnophobe, mais par ailleurs les marionnettes ont le don de me mettre mal à l’aise. Pourtant, la curiosité étant plus forte, j’ai décidé d’aller voir Une Maison de poupée, jouée en anglais au Théâtre Jean Vilar du 8 au 15 novembre 2025 et surtitrée en français. C’est une pièce qui, selon moi, fait de la scénographie un élément quasi cinématographique, et pourtant incapturable à l’écran. Il faut être présent·es dans la salle pour ressentir l’horreur qui monte lentement de la scène, tissée à partir du huis clos qu’est la maison de Nora. Adaptée du texte de 1879 du dramaturge norvégien Henrik Ibsen, Une Maison de poupée nous raconte l’histoire de Nora, qui fait voler en éclat son mariage avec Thorvald. Yngvild Aspel, à la mise en scène et dans le rôle de Nora, propose un seul en scène – en apparence –, accompagnée de marionnettes à taille humaine auxquelles elle prête sa voix. Lentement, la toile des conventions qui emprisonne Nora est rendue visible aux yeux des spectateur·ices, et des araignées font des apparitions fugaces sur scène. Soudain, les marionnettes se meuvent comme par elles-mêmes, et de longues mandibules se dessinent dans les ombres. J’aurai voulu revoir, encore et encore, ce moment de bascule, quand le tableau de famille idéale de Nora s’effrite pour laisser place à une inquiétude qui gronde et qui finit par envahir toute la salle. J’ai trouvé cette transition parfaitement maîtrisée grâce à un jeu sur la musique qu’on remarque à peine, et à la présence d’une lumière blafarde qui ne tient plus qu’à un mince filet sur les dernières minutes de la pièce.

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