critique &
création culturelle

The Outrun de Nora Fingscheidt

Évasion existentielle au cœur des îles écossaises

The Outrun raconte le parcours de Rona jouée par l’actrice americano-irlandaise Saoirse Ronan, une jeune femme de 29 ans qui, après avoir sombré dans les excès de la fête à Londres, retourne dans l’archipel des Orcades, les îles sauvages du nord de l'Écosse où elle a grandi.

La réalisatrice allemande Nora Fingscheid ouvre le film sur un large plan de l’océan, dévoilant l’archipel des Orcades, territoire de légendes. Parmi elles, Rona, la protagoniste, raconte en voix off la légende des Selkies, ces créatures mystiques qui vivent dans la mer sous forme de phoques. La nuit tombée, elles abandonnent leur peau marine, retrouvent leur apparence humaine et dansent sous la lune. Ce début assez planant est suivi d’un retour à la réalité brutal avec une scène ivre dans un bar, Rona évolue au sein d’une image floue qui plonge immédiatement le spectateur dans l’atmosphère chaotique de sa vie. Le contraste est saisissant lorsque, peu après, nous la découvrons sur une île, face à l’immensité de l’océan, s’occupant des moutons dans la ferme de son père. Nous comprenons à cet instant que nous suivons le personnage dans son parcours vers la sobriété, entre les nuits enivrantes de Londres, racontées en flashbacks, et son rétablissement dans les îles des Orcades.

Le cadrage avec des plans d’ensemble en boîte de nuit dans l’effervescence de la fête, mais aussi la déchéance des fins de soirées, nous entraîne avec elle dans sa souffrance, celle d’une femme sous l’emprise des addictions qui n’a aucun contrôle sur ses mouvements. Des plans rapprochés sur les visages de Rona et de son compagnon capturent avec finesse l’évolution de leur relation, passant de la tendresse d’un amour naissant à la douleur d’une séparation déchirante. Ces plans nous permettent de saisir toute la complexité de ses émotions : son regard, d’abord éteint et perdu durant ses périodes d’alcoolisme et au début de sa sobriété, devient progressivement plus lumineux et apaisé à mesure que les jours sans alcool s’enchaînent, marquant ainsi son chemin vers la reconstruction. Les images, à mon sens les plus marquantes, sont les plans d’ensemble dans les îles, qui nous plongent dans l’immensité d’un paysage naturel remarquable.

Le cadrage nous permet de suivre attentivement les émotions de Rona et de nous retrouver dans ce personnage, une jeune femme qui s’égare dans les tumultes de l’existence, dans les dépendances et qui essaye de se reconnecter avec elle-même en retournant chez ses parents et dans la nature. Nous suivons son développement personnel, elle se reconcentre sur l’essentiel, la cuisine, le dessin, ses études de biologie, nager avec les phoques, des festivités traditionnelles... Elle réapprend à vivre seule et à s’épanouir par elle-même. J’ai ressenti personnellement et instinctivement un lien intime et compassionnel pour le personnage. Par le jeu sincère de Saoirse Ronan, dont le regard bleu mélancolique nous plonge au cœur de ses émotions, mais aussi grâce à un scénario qui met en image le parcours d’une femme tentant de guérir de blessures antérieures. Rona, ce corps en mouvement dans cette nature infinie, m’emporte dans un état méditatif et contemplatif, c’est comme un retour aux sources à travers le paysage sonore paisible de l’océan.

Certains passages nous plongent dans son état d’esprit qui s’apaise peu à peu, se libère. Notamment lors de cette scène poignante de Noël, où, seule chez elle, elle se met à danser de manière cathartique. Ce passage d’une musique techno plus dense en boîte de nuit à Londres à de l’électronique ambiente dans les Orcades marque l’évolution du personnage que j’observe de plus en plus en phase avec elle-même, malgré les difficultés qu’elle traverse. C’est un personnage touchant car j’éprouve son désir d’aller mieux, ses regrets d’un amour perdu, sa peine de voir son père en crise de bipolarité, sa douleur quand elle voit un verre d’alcool. Tout au long du film, j’ai le cœur lourd, observant une jeune femme qui n’arrive pas à contrôler son addiction, puis le cœur léger épris d’espoir quand je constate son évolution, son émancipation par rapport à ses anciens démons.

The Outrun se présente comme une œuvre presque expérimentale qui vacille entre un format documentaire, méditatif avec des images d’archives et une animation qui permettent aux spectateurs de voyager dans les îles d'Écosse, dans ce paysage naturel poétique et onirique dans lequelle Rona respire enfin en contraste avec l’agitation de la ville londonienne qui étouffe. The Outrun questionne les addictions qui transforment l’individu, détruisent sa santé mentale mais aussi physique, et la difficulté d’en sortir qui est soulignée par des dialogues saisissants entre des anciens alcooliques. La réalisatrice interroge : de quelle manière pouvons-nous guérir des addictions et des blessures antérieures ? Comment l’environnement qui nous entoure influence nos émotions et nos mouvements ? Retourner au lieu d’origine, être seule avec soi-même sont-ils des alternatives pour se reconstruire ? Ce sont des questionnements psychologiques et philosophiques auxquels nous pouvons tous, à différentes échelles, être confrontés à un moment donné de notre vie, et ce sont les points forts de cette œuvre. Les questionnements évoqués par le titre, The Outrun, qui signifie « l’échappée », se dévoilent pleinement dans ce film, illustrant un voyage personnel de reconnection avec soi-même et à la nature environnante, un soi qui s’était perdu dans l’intensité de la vie urbaine.

The Outrun

de Nora Fingscheits
avec Saoirse Ronan, Saskia Reeves, Paapa Essiedu, Stephen Dillane
Royaume Unis, Allemagne, 2024
118 minutes

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