The Protagonists de Luca Guadagnino
À l’intersection du faux documentaire et du thriller

The Protagonists est le premier long-métrage de Luca Guadagnino réalisé en 1999, mélangeant faux documentaire et thriller. Entre archives et témoignages, l'équipe de tournage enquête sur un crime médiatique qui s’est déroulé en 1994 à Londres. Cette enquête ouvre la voie à de nombreuses interrogations, tant sur le plan personnel que universel.
Le film The Protagonists est un projet expérimental dans lequel Luca Guadagnino brouille les frontières entre réalité et fiction. L'histoire suit une équipe de tournage italienne à Londres qui, après avoir rencontré l'actrice Tilda Swinton, se lance dans une enquête sur le meurtre de Mohamed el-Sayed commis en 1994 par deux étudiants de la haute société. Les frontières deviennent floues non seulement parce que Guadagnino et Tilda Swinton y incarnent leurs propres rôles, mais aussi parce que l’équipe de tournage rejoue les scènes vécues par les meurtriers. En tentant de comprendre ces derniers, le film soulève des questions morales, éthiques, psychologiques et philosophiques.
Ainsi, l’équipe de tournage italienne atterrit à Londres pour produire un documentaire sur le meurtre de Mohamed el-Sayed, un mari et père de famille issu de la classe ouvrière tué cinq ans plus tôt dans sa voiture par deux jeunes étudiants privilégiés (Petrolini et Elsey). Les deux garçons agés de 19 ans lors du meurtre se sont imaginés qu’ils éxécutaient une mission secrète pour la SAS, une unité de force spéciale anti-terroriste britannique. Tilda Swinton elle-même leur raconte cette histoire dans une discussion informelle, elle devient par la suite l’une des enquêtrices principales du documentaire. Afin de mieux comprendre les motivations derrière ce crime, l’équipe récolte des documents et des témoignages et reconstitue le déroulement de l’événement. Ces reconstitutions sont interprétées par la subjectivité des personnages qui l’étudient : ils brouillent ce qui relève de la réalité historique et de la reconstruction artistique. La mise en scène devient une forme de récit qui questionne les limites de l’objectivité des enquêteurs, mais aussi la manière par laquelle le cinéma peut représenter la violence sans limite.

Le film débute sur la voix off de Tilda Swinton, qui interroge la moralité des spectateurs face au meurtre et à son auteur : « Le crime le plus violent suscite la plus morbide des fascinations […] nous pouvons tous être à la fois victimes et meurtriers. » Vient ensuite le générique, accompagné d’une chanson énigmatique et perturbante qui m’a poussée à me questionner sur le véritable sens du film. L’équipe de tournage et Tilda Swinton se retrouvent dans une maison à Londres, où elle arrive avec ses enfants pour raconter l’histoire du meurtre. Tout au long du film, mon ressenti est marqué par une constante confusion : qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Peu à peu, je réalise qu’il s’agit d’une mise en scène conçue pour donner l’illusion d’un documentaire, à travers les scènes dramatiques du meurtre et de la condamnation reconstituées par l’équipe. L'aspect documentaire confère une distance froide et impersonnelle au meurtre, ce qui m’a empêchée de développer une connexion émotionnelle avec les personnages qui analysent l’événement, ainsi qu’avec la femme de la victime et la victime elle-même. Cependant, la narration et la reconstitution du meurtre créent un malaise, car elles mettent en scène de manière brute cet acte terrifiant, déconcertant, un crime gratuit et dépourvu de raison. L’illusion de la réalité dans la mise en scène a engendré en moi une profonde angoisse : et si je pouvais moi-même être la victime de ce crime hasardeux ? Comme le dit Tilda Swinton en début de film, « nous pouvons tous être des victimes »
Le projet de Luca Guadagnino soulève de nombreuses interrogations, notamment sur la représentation cinématographique d’un meurtre et la manière de mélanger des éléments réels et fictifs. Cette frontière floue interroge le rôle du spectateur, qui observe avec une attention accrue un meurtre d’une violence inouie. Pourtant, la mise en scène est tellement convaincante qu'elle suscite un sentiment d’effroi. Ainsi, ce faux documentaire dérange et pose des questions profondes sur les limites de la moralité humaine : sommes-nous libres de nos actions ou sont-elles influencées par des éléments extérieurs? Et quelles en sont les véritables conséquences ?