The Substance
Toucher la perfection par le gore
Jusqu'où iriez-vous pour atteindre la meilleure version de vous-même, et quelle en serait la limite ? C’est cette question que nous pose la réalisatrice Coralie Fargeat dans son nouveau film, The Substance, qui sort au cinéma le 6 novembre. Dans ce film d’horreur mêlant drame et épouvante, la réalisatrice questionne les limites des diktats de la beauté et du patriarcat avec Demi Moore, Margaret Qualley et Dennis Quaid.
Récompensé par le prix du meilleur scénario à Cannes en 2024, The Substance a été applaudi par la critique pour son casting, ses thématiques, l’utilisation du body horror. The Substance multiplie également les références à des classiques du cinéma comme Carrie (B. De Palma), Shining (S. Kubrick) ou encore Bad Taste (P. Jackson). Ce film est le second long-métrage de la française Coralie Fargeat, après Revenge, un rape revenge (viol puis vengeance) sorti en 2017 qui avait déjà conquis son public.
Durant 2h20, le public rit, tourne de l’œil, a peur, s’émeut... The Substance regorge de couleurs pop, de maximalisme, des sons amplifiés et des très gros plans à nous en écœurer : tous des éléments pour nous immerger, qu’on le veuille ou non, dans un monde ultra sexiste, hyperbolique et dégoûtant. En bref, c’est un tourbillon d’émotions qui vous attend devant The Substance.
Le film suit Elizabeth Sparkle (Demi Moore), ancienne star d'une émission de télévision, qui est brusquement licenciée le jour de ses 50 ans, jugée trop âgée pour continuer sa carrière. Déprimée, elle reçoit une offre surprenante d'un laboratoire mystérieux : une injection d'une substance révolutionnaire promettant de la transformer en la « meilleure version » d'elle-même, en modifiant son ADN pour la rendre plus jeune, plus belle, plus parfaite. Seulement, il y a une condition : tous les sept jours, il faut permuter d’un corps à l’autre (un clone incarné par Margaret Qualley), et attention, le moindre écart peut être fatal. Au travers de la satire, du male gaze, et du body horror, Coralie Fargeat dénonce et surtout exprime un « ras-le-bol » de la société patriarcale.
Une satire de la domination masculine dans l’industrie télévisuelle
Tout au long du film, les personnages masculins occupent une place ambiguë à l’écran, tantôt surreprésentés tantôt relayés au second plan : dans les deux cas, ils sont omniprésents. Les deux personnages féminins sont constamment entourés par des hommes exerçant des métiers de pouvoir au sein de l’industrie télévisuelle (directeur d’une chaîne TV, directeur de casting, actionnaires, etc.). La réalisatrice dénonce ainsi un milieu exclusivement dominé par les hommes. Paradoxalement, les personnages masculins sont également absents, rares sont ceux qui possèdent du dialogue. Ainsi, The Substance renverse le schéma classique que l’on retrouve au cinéma, car les deux personnages féminins (Demi Moore et Margaret Qualley) prennent plus de place que tous les hommes réunis.
Coralie Fargeat tourne les hommes en ridicule, les représentant souvent comme stupides, dégoûtants, indifférents et égocentriques. Par exemple, au début du film, le patron de la chaine TV (Denis Quaid) annonce à Elizabeth, la bouche luisante de mayonnaise et de jus de crevette, qu’à « 50 ans tout s’arrête ! » et qu’il faudra donc la remplacer. Il se moque bien de l’impact que cela peut avoir sur elle et s’amuse même de la situation.
La réappropriation du male gaze pour écœurer
Dans le film The Substance, Coralie Fargeat utilise le male gaze à l’excès, pour dégoûter ses spectateurs. Le male gaze1, c’est la perspective de l’homme cisgenre hétérosexuel qui est imposé dans la culture visuelle dominante. La réappropriation d’un outil de domination patriarcale de manière exagérée, voire grotesque, permet de dénoncer l’usage également abusif du male gaze dans notre société actuelle (publicité, film, etc.).
Le male gaze est principalement employé sur le personnage de Sue, la nouvelle super star, jeune et sexy. On ne compte plus les très gros plans sur sa poitrine, ses fesses, ses cuisses… Son corps est constamment sexualisé par la caméra, comme en témoigne l’utilisation de nombreuses contre-plongées qui magnifient son corps. Ces plans peuvent être agaçants sur la durée (un effet sûrement recherché par la réalisatrice).
Le body horror pour servir les diktats de la beauté
The Substance est donc un mélange étonnant entre dégoûtant et perfection. Coralie Fargeat décide de s’attaquer au diktat de la beauté et à ses limites en utilisant le body horror, un sous-genre de l’horreur qui met en scène la transformation, la mutation ou la dégénérescence du corps humain par des moyens graphiques et grotesques.
Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour être la plus belle ? La « substance » est donc ce vecteur, qui par l’horreur et le gore, permet d’être cette meilleure version de soi-même. Ce film parle, avant toute chose, du rapport à son propre corps et des injonctions de beauté qui ont un impact sur la santé mentale et poussent à la folie. C’est notamment le cas d’Elizabeth qui, en se trouvant laide, va s’isoler, se dévaloriser, et réaliser l’impensable. La réalisatrice montre à quel point la beauté, aussi subjective et superficielle qu’elle puisse être, peut transformer une personne en quelqu’un d’obsedé, pathétique et jaloux.
Le body horror est alors employé pour exagérer ce rapport à la beauté et le pousse à son paroxysme, voire à son antipode. On peut avoir un plan truffé d’aiguilles, et de chair ensanglantée ; puis, la seconde d’après, avoir un plan d’un corps lisse et tonique.
Un féminisme pas très inclusif
Ce rapport complexe qu’entretiennent les deux héroïnes à leurs corps nous ramène à nos propres complexes et comparaisons. Toutefois, quel type de femmes peut se comparer à ces deux personnages féminins ?
Malgré le fait que ce soit un film réussi et avec une intrigue des plus captivantes, The Substance centre sa narration uniquement sur des femmes blanches, minces, hétérosexuelles et d’une sphère économique très élevée. Ces éléments sont vus et revus à l’écran et auraient mérité d’être revisités.
Si on souligne l’omniprésence des hommes, il est aussi important de souligner l’omniprésence (voire l’unique présence) des corps blancs et minces. The Substance aurait pu inclure plus de corps noirs, asiatiques, handicapés, femmes trans. En 2024, j’ose espérer que le féminisme dont fait preuve Coralie Fargeat soit plus divers en décentrant son unique propos des femmes blanches et bourgeoises.