Thomas Sappe
Thomas Sappe est l’artiste invité dans la galerie Karoo cette semaine. Ingénieur de formation, il travaille dans cette branche jusqu’en 2006. Il décide alors de se consacrer à sa passion : la photo. Du coup, Karoo lui a demandé comment on passe de l’ingénierie à la photographie.
Découvrez le travail de Thomas Sappe dans la galerie Karoo
Thomas Sappe, à 43 ans, on a déjà l’impression que vous avez eu deux vies…
J’ai eu un premier appareil photo très tôt et à seize ans, je me suis même acheté une chambre de développement. J’ai appris la photo comme ça, en pur autodidacte. Je n’ai jamais suivi la moindre formation. Ensuite je suis devenu ingénieur en agronomie tropicale et développement. J’ai alors vécu dix-huit ans en Afrique. En commençant par travailler à Madagascar dans une ferme où l’on cultivait l’ylang-ylang, au nord du pays. Je bossais bien entendu avec des Malgaches.
Un jour, je me suis rendu compte qu’à l’instar des Occidentaux, ils conservaient des photos dans leur portefeuille. À la différence près que ce n’était pas des photos d’eux-mêmes ou de leur famille, mais des photos qu’ils achetaient sur les marchés. J’avais mon appareil sur place et je me suis dit que, quitte à imiter les Occidentaux, ce serait au moins avec des photos personnelles. J’ai donc commencé à faire des portraits que je leur envoyais une fois développés à mon retour en France. C’est à partir de là que mon travail photographique a vraiment commencé.
Après, j’ai beaucoup voyagé. J’ai vécu en Côte d’Ivoire, au Cameroun, en Namibie et longtemps au Maroc. Je faisais de la photo de rue. En 2006, j’ai rencontré au Maroc la directrice d’un institut français qui a aimé mon boulot. Elle m’a exposé et c’est à ce moment-là que j’ai décidé de ne plus faire que de la photographie.
Votre regard d’ingénieur influence-t-il celui du photographe, ou ce sont deux mondes bien cloisonnés ?
On n’est jamais qu’une seule personne, il n’y a pas de schizophrénie ! Ce qui me plaisait dans mon travail d’ingénieur, c’était aller à la rencontre des gens. La photo est très complémentaire à ce désir.
La série exposée dans
Karoo
correspond à votre période marocaine.
J’ai vécu douze ans au Maroc, et j’ai donc douze années de photos dans mes cartons : ça constitue un fonds immense. J’ai commencé à le reprendre il y a un an pour en faire une série qui raconte cette période-là. À l’époque, je ne travaillais qu’en argentique. Les photos exposées par
Karoo
forment une introduction à cette série. J’aimerais en faire un livre. Je discute d’ailleurs avec un auteur pour établir un dialogue entre mes photos et un texte. J’aime bien les regards croisés. La photographie est un travail très solitaire et j’aime bien faire intervenir les gens, les inviter à décrire, en parallèle, ce que mes photos leur inspirent.
Les deux précédents photographes exposés et interviewés par
Karoo
(Sandra Vigliotti et Gilles Dewalques ndlr) ont parlé de la proximité, parfois intime, de la photographie et du cinéma. En termes de regards croisés, travailleriez-vous quelque chose de plus cinématographique ?
Non, j’aime l’instantanéité de la photographie. Ce qui ne veut pas dire que mon travail est figé. J’ai commencé à travailler en numérique : c’est une tout autre façon d’appréhender la photo. La possibilité d’utiliser l’outil informatique pour modifier la photo en profondeur offre des perspectives saisissantes. C’est un nouveau terrain de jeu pour moi, presque sans limites. Je prépare d’ailleurs, sous forme de carnets de souvenirs, un travail sur les villes que j’ai traversées. C’est vraiment une nouvelle façon d’envisager la photo.