Trap
La chute d'un maître de l'angoisse
Le maître du thriller fantastique M. Night Shyamalan revient sur le devant de la scène avec Trap, film au synopsis clair et prometteur, celui d’un père de famille et tueur en série piégé dans une salle de concert avec sa fille. Le réalisateur nous offre cette fois un long-métrage réaliste et angoissant dont on ne pouvait que se réjouir. Mais le maître semble finalement perdre de sa splendeur et la magie n’opère pas.
Avec Trap, M. Night Shyamalan nous vendait un thriller en huis clos très prometteur, dont l’idée scénaristique de base, celle d’un tueur en série et père de famille piégé avec sa fille dans une salle de concert, semblait plutôt originale et pleine de potentiel. Là où l’on connaît le réalisateur sur des productions fantastiques, il revenait cette fois avec un scénario, en soi, assez réaliste. Tous les éléments étaient réunis pour réussir le projet et ça commençait d’ailleurs plutôt bien.
On observe un père et sa fille, complices, ensemble au concert de la star du moment, Lady Raven, campée par Saleka Shyamalan. Le réalisateur retranscrit à la perfection l’ambiance bouillante d’un concert. Les flashs des projecteurs, les lumières des téléphones, la pénombre du reste de la salle. La foule aussi, grouillante, débordante d’excitation, donne un brouhaha général qui ajoute une couche à l’ambiance. On s’y croirait. Ça rappellera à certains de vieux souvenirs de concerts où, enfants, nous venions admirer notre idole, accompagnés par un parent là simplement pour nous faire plaisir. Cela donne un petit côté madeleine de Proust à ces scènes de concert.
Les acteurs incarnant le père de famille et tueur en série Cooper et sa fille Riley, respectivement Josh Hartnett et Ariel Donoghue, semblent entretenir une vraie complicité qui transparaît à l’écran. Josh Hartnett est plutôt crédible dans son rôle, il nous apparaît à la fois sympathique et tendre, autant que manipulateur et cruel. On sent que quelque chose cloche chez lui. Ariel Donoghue, ensuite, attire toute l’attention sur elle. Son jeu est absolument naturel et spontané, on ne voit que Riley, jamais Ariel Donoghue, contrairement à Josh Hartnett.
En effet, au fur et à mesure du film, l’interprète de Cooper se perd dans l’image qu’il renvoie d’un tueur en série. Ses micro-expressions sont trop forcées, on aperçoit parfois l’acteur derrière le personnage, comme si Josh Hartnett s’efforçait d’effectuer une prouesse technique ; comme s’il voulait se faire une place aux côtés des grands acteurs de cinéma ayant incarné un personnage similaire, que ce soit Anthony Hopkins dans Le silence des agneaux ou, surtout, Heath Ledger en Joker dans The Dark Knight de Christopher Nolan. Finalement, la performance finit par tomber dans la caricature et en devient parfois grotesque, notamment quand Cooper vérifie via son smartphone que son prisonnier est toujours bien ligoté sur sa chaise. Josh Hartnett nous montre la cruauté et l’angoisse de son personnage par des jeux de tremblements de lèvres et d’esquisse de sourire, ce qui peut sembler un peu léger et finit par dénuer le personnage de profondeur.
Mais ce n’est pas ce point-là qui pose problème. Ce qui pose problème en réalité, c’est tout simplement le scénario. L’idée de base d’un homme, père de famille et tueur en série, est très intéressante. Le côté paternel du personnage le rend banal et attachant, un monsieur tout-le-monde, ce qui est d’ailleurs souvent le cas des serial killers. L’enfermement dans lequel il se trouve, dans cette salle de concert remplie d’un public de 30 000 personnes et entouré de centaines de policiers, possède un potentiel angoissant certain. On est d’ailleurs spectateurs des premières bouffées de stress de Cooper, quand il remarque la horde de policiers anormale dans la salle. La caméra nous donne accès à son point de vue et s’amuse à nous donner des informations supplémentaires que le personnage principal ne connaît pas. Se met alors en place tout un jeu entre ce qu’on sait, ce que Cooper ignore et ses solutions pour s’échapper. Et c’est simplement là que ça pêche : ses échappatoires.
On apprend assez rapidement qu’une profileuse se trouve sur les lieux pour attraper Cooper. Toutes les forces de l’ordre présentes, des centaines de policiers on le rappelle, connaissent par cœur son portrait physique et psychologique, établi par la profileuse. Tous savent qu’il se trouvent là. Il y a un policier à chaque porte, des caméras, surveillées par les forces de l’ordre, dans tous les recoins et pourtant Cooper passe inaperçu. Une scène en particulier le souligne : Cooper cherche un échappatoire, s’apprête à déclencher une alarme incendie pour créer un effet de foule avant de se raviser. Il revient alors sur ses pas et regarde une caméra directement dans son œil. L’image nous emmène alors du côté de la salle de surveillance, là où se trouve la profileuse et ses agents. Et… Rien. Personne ne remarque un homme, correspondant parfaitement au profil du tueur, agissant étrangement et regardant une caméra fixement. C’est à ce moment que s’installe une logique bancale dans le scénario : Cooper s’en sort toujours. Cette première fois d’abord, une deuxième fois ensuite lorsqu’il tombe sur des agents qui lui demandent ce qu’il fait sur le toit. Il leur sert une improvisation mélodramatique et repart tranquillement. Et c’est ainsi une fois, deux fois, trois fois, jusqu’à ce qu’il réussisse à sortir de la salle de concert, en compagnie de sa fille et de Lady Raven. On pourrait alors se dire que le film est terminé, car sinon où serait la promesse d’un huis clos sous-entendue dans le trailer, que vaudrait la question soulignée par le synopsis : Cooper arrivera-t-il à s’échapper du concert ? Or M. Night Shyamalan continue de jouer sur cette question encore et encore, même en dehors du concert, dans la maison de famille de Cooper, alors que ce dernier se sait encore traqué par la police. Sauf que ça ne prend plus. On a déjà vu notre personnage principal s’en tirer plus d’une fois, on ne doute plus du fait qu’il s’en sortira à nouveau. L’angoisse est aux abonnés absents. Les ressorts horrifiques n’en sont plus. On ne souhaite finalement qu’une chose : que tout se termine. Cela sera le cas après une heure quarante-cinq d’un film se clôturant sur son problème principal, dans une scène assez marquante tant elle vient rajouter une couche sur ses défauts majeurs : Cooper avec un sourire se voulant machiavélique, à l’arrière d’un fourgon de police, en train de se libérer de ses menottes.
M. Night Shyamalan nous offre donc encore une fois une idée ingénieuse mais qui malheureusement ne prend pas, la faute à un scénario bancal. On soulignera toutefois la création musicale de Saleka Shyamalan, nous offrant la performance de son album original Lady Raven, aux consonances R’n’B. Album qu’on prend plaisir à écouter tant devant Trap, que plus tard, chez soi. À se demander finalement si Trap n’est pas plutôt une éloge d’un père envers le talent de sa fille.