« Tuer un autre être humain et
Bienvenue dans le monde des ressources inhumaines, nous avertit gentiment la quatrième de couverture de Guide de survie en milieu hostile , premier roman de Shane Kuhn, scénariste américain de son état, qu’on nous présente déjà comme le prochain grand monsieur à suivre dans le domaine du thriller.
Quand on s’intéresse un peu au parcours de l’auteur, on ne peut s’empêcher d’avoir quelques sueurs froides avant même d’avoir ouvert le livre. Ce qu’a fait Shane Kuhn dans le monde cinématographique est proche du néant. En tout, cinq scénarios pour des films d’action de seconde, voire de troisième zone. Voilà ce qui, jusqu’à présent, composait la carrière de l’écrivain en herbe. Il est d’ailleurs, comme nous le verrons, très difficile de ne pas imaginer le
Guide de survie en milieu hostile(horrible traduction étant donné son titre original :
The Intern’s Handbook) comme un scénario de film qui aurait été reconverti en roman.
Ressources humaines Inc., comme son nom ne l’indique pas, est une agence de tueurs à gages. Ceux-ci sont envoyés dans diverses entreprises, présidées par des requins de la pire espèce, sous la couverture de stagiaire. Car personne ne fait attention au stagiaire de service. Il est indispensable au bon fonctionnement de la boîte mais on ne connaît pas son nom. Il ne restera sans doute pas longtemps mais on lui donne accès à quasiment toutes les informations confidentielles. La planque parfaite.
Si tu lis ces mots, c’est que tu es un nouvel employé de RH Inc. Félicitations. Et condoléances. Le moins que l’on puisse dire est que tu te lances dans une carrière que tu ne pourras jamais qualifier d’ennuyeuse. Tu visiteras des lieux intéressants. Tu rencontreras des personnages hors du commun et stimulants, venant de tous les horizons. Et tu les assassineras. Tu gagneras beaucoup d’argent, mais cela ne signifiera plus rien pour toi une fois ta première mission accomplie. Tuer, c’est facile au cinéma. Dans la vraie vie, c’est la profession la plus pénible, la plus stressante et la plus solitaire qui soit. Désormais, chaque fois que tu entendras quelqu’un se plaindre de son travail, il te faudra faire un effort surhumain pour ne pas lui rire au nez. Tout le monde n’est pas taillé pour ce job. Toi et tes condisciples ne tarderez pas à l’apprendre à vos dépens, car vous serez presque tous morts avant la fin du mois. Et il ne s’agit que de la phase de formation.
John Lago est l’un de ces tueurs. À vingt-cinq ans, il approche de la retraite. On ne peut pas être stagiaire toute sa vie. Il décide alors de laisser une trace pour les petits jeunes qui reprendront le flambeau. Cette trace, c’est le livre que nous tenons entre les mains et qui narre de manière très directe le dernier contrat de ce meurtrier froid et calculateur. Évidemment, rien ne se passe comme prévu et Lago commence à se remettre sérieusement en question.
Dans le Guide de survie en milieu hostile , ce n’est pas Shane Kuhn, écrivain, qui prend la plume mais John Lago, tueur fermé d’esprit. Nous ne sommes plus de simples lecteurs mais des apprentis tueurs que le mentor tutoie, prend à parti, engueule parfois. Le tout est souvent arrosé d’une bonne dose d’humour noir et sarcastique, d’une misogynie sidérante et d’une vulgarité sans pareille. Caractéristiques qui collent assez bien au personnage. Dans son genre, le roman est diablement actuel et démonte peu à peu tous les réseaux et canaux d’information que notre héros aime appeler l’ intox express : un ramassis de mensonges qui constitue chacune de nos vies.
Règle no 4 : « apprends à faire du café. »
C’est ta tâche primordiale en tant que stagiaire. Vas-y, rigole. Mais tu peux faire des photocopies à la chaîne et courir dans tous les sens jusqu’à l’épuisement, ton chef ne le remarquera même pas. En revanche, si tu lui prépares un café comme il n’en a jamais bu, il ne se souviendra peut-être pas de ton nom, mais il se débrouillera pour que tu sois tous les matins dans son bureau. Et c’est comme ça que tu finiras par avoir accès à ta cible. J’ai exécuté 44 % de mes contrats comme ça. C’est facile, ça te permet d’approcher l’homme à abattre, et tu peux même t’en servir pour le tuer. L’occasion se présente plus souvent que tu ne l’imagines. Les secrétaires DÉTESTENT faire le café, bien que ce soit leur job. Simplement parce qu’elles travaillent toutes là en attendant de devenir actrice/chanteuse/star du porno/bête curieuse de la télé-réalité : cochez la bonne réponse. C’est toujours la même histoire, il n’y a que le boulot alimentaire qui change.
Je l’ai mentionné plus haut, il est très difficile de ne pas imaginer ce roman comme un scénario de film tant la narration et la construction se veulent cinématographiques. Cela a ses qualités et ses défauts. Qualités car on visualise l’action très facilement, on se prend au jeu. J’en étais déjà même à imaginer quels acteurs pourraient interpréter les différents protagonistes. Pour être franc, il ne serait pas étonnant que le roman finisse adapté sur grand écran, voire en série. Car il faut l’admettre, le concept est plus qu’efficace. Défauts parce qu’à partir du moment où l’on comprend ce à quoi nous avons affaire, l’effet de surprise disparaît complètement. Le livre en devient horriblement prévisible. On ne sait pas exactement ce qui va se passer mais on peut quasiment dire qu’à telle page, il y aura un twist et qu’à partir des trois derniers chapitres, on aura droit à un dénouement hollywoodien rempli de révélations presque pas surprenantes. On en vient alors réellement à comparer le Guide de survie en milieu hostile à un autre des scénarios de l’auteur, et ce n’est pas un compliment.
Il ne faut pas pour autant bouder notre plaisir car on passe quand même un moment agréable en compagnie de John Lago. Pas inoubliable mais agréable. Finalement, le livre ressemble à un film pop-corn : on rigole, on s’amuse mais une fois qu’on est sorti de la salle, il ne reste pas grand-chose. Reconversion mitigée donc pour cet auteur dont on comprend moyennement la démarche. Quel est l’intérêt d’écrire un livre si c’est pour faire exactement la même chose qu’au cinéma ?