Un Chinois à Paris
L’auteur se nomme Melvin Van Peebles . C’est un artiste — cinéaste, acteur, musicien — noir américain engagé, ami de Chester Himes. Il a écrit en français populaire pour Hara-Kiri , dans les années 1960, des histoires courtes réunies dans le recueil le Chinois du XIVe .
Mais où est donc passé le Chinois ? s’interrogent les habitués du Mon Moulin , petit café parisien du XIVe arrondissement, qu’une coupure de courant dans le quartier rassemble autour d’une lampe et d’une bouteille de vin, entre chien et loup.
Ainsi nous est présenté le recueil de narrations dans la pénombre que nous offrent les éditions Wombat . Et c’est un peu ce que je me demande dans un premier temps : où donc est passé le Chinois, quelle voie avec ou sans issue a-t-il empruntée pour nous fausser si vite compagnie ? Et aussi : le livre n’eût-il pas été autrement exaltant si celui que le propriétaire du troquet traitait bien joliment de trou de pine n’avait presque aussitôt disparu ?
Et pourtant.
Ce court volume, élégamment illustré par Roland Topor et finement préfacé par André Hardellet — il en vante le ton juste, fidèle aux petites gens qu’il met en scène et qui parfois eurent une jeunesse bien plus mémorable que leur avenir —, recèle de fort beaux moments, tendres et cruels, réjouissants et ironiques, de prose poétique monologuée.
Il y est question de la « vraie valeur du vin » et de ses formidables bienfaits historiques ; de la lutte des classes et de la douloureuse impossibilité pour les petits de « penser grand » ; de l’État le plus long des États-Unis lorsqu’il est traversé par un Noir et que la plaque au-dessus de la porte d’entrée des voyageurs dit : « POUR BLANCS SEULEMENT » ; d’une femme qui, la moitié du temps, trouve de l’argent où elle veut, et en abondance ; des fusées qu’on pourrait envoyer tranquillement dans l’espace s’il ne fallait penser à en rapatrier les occupants ; d’un prisonnier incroyablement heureux dans sa cellule pour une raison que je vous laisserai découvrir ; d’une salle de bains bourgeoise et d’une bagnole comme lieux secrets ou discrets de plaisir en période de guerre.
Et cetera…
Et c’est en écrivant mon paresseux et cetera que je m’en rends compte : le Chinois est plus que recommandable ; j’ai bien fait de lire plusieurs fois ces aventures de bistrot pour en dire quelques mots, pour vous donner l’envie de vous glisser dans le cercle lumineux de la lampe à pétrole, dans l’atmosphère rétrécie et sans limites qui est le lieu privilégié de l’évocation libre, et d’y retrouver un monde disparu… comme le fameux Chinois du XIVe.