Une année difficile
Un feel-good movie qui souffre la comparaison
Le dernier film du duo Toledano et Nakache réussit à nous faire rire et à nous divertir. Mais il déçoit par son manque de nuances et d’une profondeur pourtant bien présente dans leurs films précédents.
C’est non sans enthousiasme que je me suis installée confortablement dans la salle de cinéma pour apprécier Une année difficile, le dernier film d’Éric Toledano et Olivier Nakache, le duo qui avait réalisé les tendres Intouchables, Hors normes et le jouissif Le sens de la fête. Et pour cause, j’avais été charmée par leur façon de mêler profondeur et légèreté, en abordant des sujets sensibles avec un tact qui se fait rare dans les comédies françaises. Le casting réunissant Pio Marmaï, Noémie Merlant, Jonathan Cohen et Mathieu Amalric dans les rôles principaux a fini de me séduire. Or, c’est bien connu, plus on a des attentes, plus on risque d’être déçu.
Le film s’ouvre sur une compilation d’extraits de discours de différents présidents de la République française, qui ont tous un point commun : celui de constater que « les temps sont durs ». On devine rapidement qu’ils parlent de difficultés financières, entre autres. C’est en effet ce que traversent Albert (Pio Marmaï) et Bruno (Jonathan Cohen), deux hommes dont les chemins se croisent grâce à Henri (Mathieu Amalric), qui anime des ateliers de gestion financière, alors qu’il souffre lui-même d’addiction aux jeux d’argent. Le hasard amène les deux hommes surendettés à intégrer un groupe d’activistes écologiques, porté par Valentine, alias « Cactus » (Noémie Merlant).
L’idée de base est originale : réunir des personnages qu’a priori le niveau socioéconomique et les préoccupations opposent autour du projet commun d’organiser des actions de désobéissance civile. J’ai cru, un instant, que les deux réalisateurs allaient l’exploiter pour aborder un thème on ne peut plus actuel : comment allier justice climatique et justice sociale ? Comment réunir autour d’un même combat celui qui a tout perdu et n’a même plus de chez-soi et la jeune bourgeoise qui prône le minimalisme extrême ? La relation entre les personnages d’Albert et de Valentine, alimentée par un travail main dans la main et un amour naissant, a l’air tellement facile qu’il est difficile d’y croire.
De la même manière, l’aspect caricatural des protagonistes est tel qu’ils en perdent leur crédibilité. Prenons par exemple le minimalisme pratiqué par Cactus : elle vit dans un appartement vide, sans aucune chaise sur laquelle s’asseoir ni table sur laquelle manger. Elle n’accepte de faire entrer un objet chez elle que si, en échange, elle se débarrasse d’un autre objet. Albert, lui, est à côté de ses pompes. Il ne comprend pas le sous-texte quand Cactus lui demande s’il veut aller plus loin, s’engager (sous-entendu dans l’association) et pense que Cactus lui suggère de se mettre en couple. Le ressort comique (de situation, d’exagération) utilisé par les réalisateurs fonctionne à certains moments, mais à d’autres, il fait plutôt grincer des dents. Dommage… Un peu plus de nuances aurait sûrement permis que l’on s’attache davantage aux personnages. C’est sans compter un happy end tiré par les cheveux : en plein confinement, les deux amoureux se retrouvent seuls dans les rues de Paris et échangent quelques mots avant d’entamer une valse. Aux balcons des maisons qui les entourent, les voisins applaudissent. Je dois reconnaitre que cette scène finale se démarque par une certaine poésie et une esthétique photographique indéniable. Cependant, elle me dérange par le fait qu’elle réduit la crise du Covid-19 à une aubaine pour la planète, effaçant d’un même geste tous les malheurs que cette crise a causés.
Sans doute l’ambition des réalisateurs n’était-elle pas de nous offrir des pistes de réflexion, mais simplement une bouffée d’air frais, un lâcher-prise comme ils en ont le secret ? À ce niveau-là, l’objectif est atteint : on rit grâce à la performance de Jonathan Cohen, fidèle à lui-même (j’avoue qu’il lui suffit d’une moue pour me faire pouffer) et aux pirouettes et dialogues bon enfant portés par ces acteurs talentueux. On se laisse entrainer par une bande son de qualité (qui s’ouvre et se termine sur du Brel, quand même !) et par l’envie de garder la foi en l’humanité.
Une année difficile est à mes yeux un film à regarder chez soi pour se remonter le moral ou se divertir. Mais s’il figure un jour sur ma liste de recommandations de feel-good movies, une chose est certaine : il restera bien loin derrière les réalisations précédentes de Toledano et Nakache. Après tout, ils ont peut-être aussi eu une année difficile ?