À partir de divers documentaires disponibles au Point Culture de l’ULB, les étudiants en graphisme de l’ESA St-Luc Bruxelles proposent leur interprétation de différents enjeux mêlant utopies, injustices, et révoltes. En découle une exposition qui interroge le monde, mais surtout, par les travaux des étudiant.e.s, appelle à aller plus loin dans la conscience des enjeux qu’elle soulève.
Les révoltes ont ponctué l’Histoire. Elles retracent les revendications, la volonté de changement et le refus d’obéir à une autorité. Surtout, elles nous permettent de dessiner les contours d’un monde idéal auquel chaque génération aspire. Mais que voulons-nous aujourd’hui ? Quels sont les fondements des révoltes actuelles ?
Utopies réelles – révoltes graphiques est une exposition qui rassemble des travaux graphiques divers sur des sujets tout aussi variés. Ce qui rassemble tout cela : la subversion de la société qui se produit par le biais de petites révoltes qui dessinent en filigrane une certaine vision de l’utopie. Il s’agit d’une exposition qui amène à questionner le monde dans lequel nous vivons, et surtout à s’intéresser de plus près aux alternatives qui sont proposées. Si les travaux des étudiant.e.s sont le point d’entrée du projet, l’intérêt réside surtout dans la découverte de ces alternatives, de différents mouvements sociaux, courants de pensée ou revendications.
L’utopie, autant en politique que dans l’art, a une position assez ambivalente aujourd’hui. François Rosset entame l’ouvrage Mondes imparfaits , sur la vision des utopies et dystopies autour de l’univers des Cités obscures , en affirmant que :
L’utopie n’a généralement pas bonne réputation chez les honnêtes citoyens. Elle sert à qualifier ou plutôt à disqualifier des rêveries de toutes sortes qui seraient méprisables faute de pouvoir être réalisées, ou des projets qu’il vaut mieux tenir à distance par crainte de déranger un ordre établi. Ce ne serait pas sérieux, l’utopie, quand ce ne serait pas carrément dangereux 1 .
L’utopie, en effet, est dans sa définition même un idéal qui a davantage vocation à être un idéal vers lequel tendre qu’à constituer une liste concrète de mesures à appliquer du jour au lendemain à la société – n’en déplaise aux valeurs de réalisme modernes. En littérature, par exemple, son contre-pied, la dystopie, est beaucoup plus populaire au XXIe siècle au point que le genre peut être considéré comme l’un des éléments principaux dans la construction des mythes et fictions dans notre époque contemporaine 2 . Dans le cinéma, dans les séries, en bande dessinée et en littérature, c’est plutôt la dystopie qui investit les imaginaires modernes, et ce depuis les années 1930, si l’on en croit l’académicien Gregory Claeys . Est-ce le symptôme d’une désillusion généralisée, d’un pessimisme qui enferme les productions ou une évolution dans les façons d’appréhender le monde qui nous entoure ? L’exposition semble prendre ce parti en présentant l’utopie non pas comme une grande idéologie, mais comme un ensemble de petites et grandes révolutions qui ont délimité les contours d’un monde à réinventer chaque jour. Elle présente en cela un pont entre l’utopie dans le réel – les documentaires à l’origine du projet – et dans l’art.
De cette façon, remettre en question la société et en rêver une meilleure, même si cela ne s’inscrit pas forcément dans un schéma idéologique global ou un cahier des charges concret constitue déjà une utopie en soi. En tout cas, c’est ce qui semble être défendu dans Utopies réelles – révoltes graphiques . Déjà, par son partage de contenu audiovisuel, le Point Culture défend à sa façon une certaine utopie, celle de l’accessibilité de l’art, de la culture, de l’information. L’exposition, quant à elle, n’impose pas vraiment d’idéologie – certaines des causes présentées pourraient même présenter des divergences, comme par exemple les combats femens et ceux des mouvements queer, mais amène le ou la spectateur.trice à découvrir de nouvelles façons de penser le monde et des combats qui ont ou ont eu place d’idéologie dans l’esprit et les actions de leurs protagonistes. Les productions des étudiant.e.s en graphisme sont diverses et ludiques – cela va de grandes infographies à des jeux de société – et couvrent des sujets très divers : les arts, l’économie, les genres et sexualités, l’environnement et l’écologie,… Certains traitent de thèmes qui sont a priori connus de tous.tes, au moins en surface, et d’autres qui le sont moins : j’ai découvert, par exemple, le combat des Couvinois contre un projet de barrage dans la vallée de l’Eau Noire en 1978. L’expo n’est pas longue mais vous donnera matière à réflexion – et des idées de documentaires à regarder – pour des semaines à venir : cela vaut le détour.