Joyce Carol Oates est une écrivaine prolifique, elle possède à son actif une centaine d’écrits, poèmes, nouvelles, romans et essais confondus. Elle est également professeur d’écriture à l’université de Berkeley et fait indubitablement partie des grands noms de la littérature américaine contemporaine.
J’ai connu Joyce Carol Oates tout d’abord par ses écrits pour adolescents :
Nulle et grande gueule,
Zarbie les Yeux Verts. J’ai découvert un peu plus tard
les Chutes, et
Blonde, qui m’ont tous les deux fascinée. Mais ici, point de fascination : plutôt de la déception.
Valet de pique est un thriller doublement réflexif, puisque son héros écrit des romans policiers, sous son nom propre mais également sous un pseudonyme – le fameux Valet de pique. Réflexif aussi puisque que le roman est parsemé de références à Edgar Allan Poe, Stephen King, James Ellroy… Un roman noir qui parle du roman noir, à propos d’un auteur de romans noirs. Le procédé pourrait être intéressant mais il devient parodique tant les ficelles sont grosses et les étapes précipitées.
Chaque écrivain a des motifs de prédilection, des thèmes récurrents. Oates a beau diversifier remarquablement son œuvre, sa plume se reconnaît avant tout par la description de caractères psychologiques instables, violents, contradictoires. Ses personnages sont souvent au bord du gouffre et elle a un immense talent pour faire ressentir le déséquilibre sans l’expliquer au lecteur captivé. Cette thématique est également présente dans Valet de pique . Par les petites descriptions, les commentaires essaimés dès le début de l’ouvrage, on sait que le personnage principal, un écrivain à succès de romans policiers nommé Andrew J.Rush, ne réfléchit plus normalement. Bien que la narration soit à la première personne, il est possible de comprendre que Andrew se ment à lui-même – notamment grâce à sa manière de se contredire ou à la répétition de certaines expressions et adjectifs stéréotypés qui ne lui servent qu’à se convaincre que tout va bien.
Mais si dans beaucoup de ses ouvrages Joyce Carol Oates parvient à instaurer la tension, voire l’appréhension pour les lecteurs plongés dans les marécages mentaux de personnages à la dérive, le processus est bâclé dans le cas d’Andrew J. Rush. Comme je l’ai dit, il est possible de comprendre en filigrane que l’écrivain est proche de la folie dès le début. Le lecteur ne peut alors que craindre (c’est-à-dire espérer) le pire, car le roman fourmille de références au roman noir et de promesses de lourds secrets. Mais le violent, le cynique, l’abominable n’arriveront pas… Car lorsque l’action se précipite, elle est beaucoup trop attendue pour paraître affreuse. Rien à voir avec la scène abominable dans laquelle Annie coupe le pied du héros dans Misery , ou encore avec les descriptions des sévices subis par la victime dans le Dahlia noir . Le héros paraît mièvre par rapport à ce que les sous-entendus initiaux promettaient au lecteur et par rapport au genre du roman – le thriller.
Un autre trait distinctif d’Oates est sa façon d’imbriquer des thèmes de société aux relations sociales qu’elle décrit. Le racisme et le sexisme sont omniprésents et dénoncés à travers son œuvre. Ici aussi, la relation de l’auteur à sa femme est dénoncée comme sexiste grâce à plusieurs sous-entendus. Il est écrit qu’elle a abandonné sa carrière pour lui, qu’il l’a choisie comme épouse parce qu’elle manquait de confiance en elle et l’admirait, qu’il est jaloux de toutes les actions qu’elle accomplit si elles ne sont lui pas destinées. Son monologue intérieur laisse entrevoir un homme maladivement jaloux, misogyne, potentiellement dangereux. Mais à force d’essaimer des critiques voilées au féminisme et de parodier le mode de pensée d’un homme blanc, hypocritement progressiste mais qui abuse de ses privilèges de race et de classe, Andrew J.Rush devient une caricature, un fantôme pâle auquel pour lequel on ne peut ressentir d’empathie et surtout qui ne fait pas peur.
L’ouvrage reste distrayant : il s’avale en quelques heures et l’écriture de Joyce Carol Oates est agréablement précise. Malgré tout, on est loin, très très loin, de ses meilleurs romans…
Pour ceux qui souhaitent découvrir cette autrice, capable du meilleur comme, apparemment, du pire, je conseille Confessions d’un gang de filles : il retrace l’histoire d’un gang de filles, constitué dans l’État de New York dans les années 1950.
Autrement plus fort, inattendu et passionnant.