Why We Fight
Dissection de la violence
Projeté dans le cadre du festival Mots à défendre, le documentaire Why We Fight d’Alain Platel et Mirjam Devriendt livre une réflexion collective sur la raison d’être de la violence dans nos sociétés et dans nos cœurs. Une œuvre cérébrale, d’une grande puissance tragique.
Why We Fight est un documentaire d’Alain Platel et Mirjam Devriendt, projeté au cinéma Palace le lundi 13 mars. La séance s’inscrivait dans la programmation du festival Mots à défendre (MàD) , un festival transdisciplinaire organisé par le Théâtre National Wallonie-Bruxelles , qui a eu lieu durant deux week-ends, du 10 au 12 et du 17 au 19 mars. Les réalisateurs du film, le directeur artistique du théâtre ainsi que l’une des deux autrices associées au festival, Caroline Lamarche (l’autre autrice étant Joëlle Sambi) étaient présents lors de la projection.
« Pourquoi nous battons-nous ? », c’est la question principale que soulève le film et qui a servi de leitmotiv, de fil rouge à ce festival dédié au pouvoir et à l’engagement des mots sous toutes leurs formes. « Pourquoi », mais aussi « pour quoi » et « pour qui » ?
Le point de départ de Why We Fight est une œuvre d’Alain Platel, Nicht Schlafen (littéralement « pas dormir »), qui met en scène des chorégraphies contemporaines sur la musique du compositeur autrichien Gustav Mahler. Ce dernier évoquait les débuts de la Première Guerre mondiale, une époque turbulente marquée par des grandes accélérations et dislocations qui résonnent très fort aujourd’hui. Il en résulte une musique tragique, nerveuse, qui correspond bien à ce que le metteur en scène et chorégraphe recherchait pour sa pièce.
« Filmer une pièce, cela permet de la voir de plus près », explique la photographe Mirjam Devriendt, qui avait été invitée à filmer le spectacle avant que naisse l’idée du documentaire. En effet, les captations, centrées à certains moments sur les visages des danseurs, nous donnent à voir la force des émotions vécues et partagées pendant leur performance. Réaliser un film à propos d’une pièce, cela permet également de la montrer sous un autre angle, l’angle de sa genèse et de ses coulisses. En outre, les réalisateurs ont choisi de nous présenter les points de vue des danseurs Bérengère Bodin, Samir M'Kirech et TK Russell, ainsi que ceux d’autres personnes ayant travaillé sur le spectacle, à travers des interviews face caméra. Ces narrateurs et narratrices nous partagent leur vécu et leur approche de la violence.
Ces propos personnels sont accompagnés, d’une part, de témoignages d’historiens et de philosophes et, d’autre part, d’images d’archives à titre d’illustrations. Parfois, le montage est fait de sorte à établir des parallèles entre les scènes de danse et les images d’archives (par exemple, des archives médicales documentant des séquelles neurologiques de la Première Guerre mondiale). Avec ces archives, l’objectif poursuivi par les réalisateurs est d’élargir la réflexion, d’« ajouter des couches supplémentaires » sur le sujet de la violence dans nos sociétés et dans nos cœurs.
« On a tous en nous un petit être qui pleure, car c’est en soi tragique de vivre une vie qu’on n’a pas choisie. » Ces mots, tirés d’un témoignage, résument assez bien le ton du film : mélancolique, philosophique, poétique. La musique de Mahler y est pour beaucoup. La plupart du temps extradiégétique, parfois intradiégétique1 (et parfois les deux à la fois), elle nous tourmente, nous accable. Ce n’est cependant pas la seule responsable : les images d’archives, sélectionnées minutieusement par les réalisateurs, sont autant de petits coups de poignard. La musique n’est d’ailleurs pas toujours présente : dans certains passages chorégraphiés, les danseurs miment des combats de façon assez réaliste, et on peut entendre leur souffle comme leurs cris.
L’utilisation du ralenti pour certaines scènes de danse donne beaucoup d’espace à la réflexion, et lorsque ces scènes correspondent à une pause dans la narration, il faut admettre que c’est même un peu lourd à supporter. Si le documentaire apporte réellement des éléments de réponse aux questions qu’il aborde, son approche érudite d’un sujet inévitablement grave donne un résultat très cérébral, quelque peu indigeste par moments. Heureusement, les témoignages apportent de la douceur et de la lumière, notamment celui de la danseuse Bérangère Bodin, seule femme de la troupe. Elle parle de maternité, d’amour, de vulnérabilité… et nous invite à « être émus ensemble » et à célébrer, parce qu’« on n’a pas le luxe de sombrer dans le désespoir ».