Xenoblade Chronicles
Une épopée tissée par la magie de ses mélodies
La musique de jeu vidéo a la particularité de participer, elle aussi, à la narration. En voici un exemple à travers Xenoblade Chronicles, une saga connue pour ses musiques époustouflantes et émouvantes.
L’identité d’un jeu vidéo est construite à travers de nombreux aspects. Comme exemples, nous pouvons citer son gameplay, sa narration, ses personnages, sa difficulté, ses graphismes mais aussi le studio qui l’a produit et donc par extension son origine purement géographique et culturelle qui influence la façon dont l'œuvre est conçue. Mais ce sur quoi nous allons nous concentrer ici est la musique.
Quand scénaristes et compositeurs travaillent de concert
Dans un jeu vidéo, la musique peut remplir différentes fonctions : installer une ambiance, véhiculer une émotion, augmenter l’impact d’une scène ou encore de la narration. La musique raconte parfois tout autant l’histoire que n’importe quel autre élément. La texture idéale pour l’illustrer se trouve au cœur d’une trilogie de jeux vidéo qui me tient particulièrement à cœur, intitulée Xenoblade Chronicles.
Les Xenoblade Chronicles sont des JRPG, acronyme anglais de « jeu de rôle japonais ». Le studio qui développe cette licence n’est autre que Monolith Soft, connu entre autres pour son travail sur The Legend of Zelda: Breath of the Wild mais aussi Animal Crossing: New Horizons ou encore Baten Kaitos.
Tetsuya Takahashi, réalisateur et scénariste de ces titres, a créé un univers complexe où philosophie et religion enrobent une histoire dans laquelle les héros tentent de changer le destin de leur monde. Les Xenoblade Chronicles sont reconnus pour l’histoire qu’ils racontent, leur univers si particulier qui pousse à l’émerveillement et à la mélancolie, mais aussi et surtout pour leur musique qui distillent l’essence singulière de chaque instant de ces jeux. Ces compositions, nous les devons à Yasunori Mitsuda, Yoko Shimomura, Manami Kiyota, le duo ACE (TOMOri Kudo et CHiCO) et Kenji Hiramatsu.
Mais assez de mise en contexte pour le moment, entrons dans le vif du sujet. Et quoi de mieux pour ce faire qu’une citation de Kenji Hiramatsu qui, avec Yasunori Mitsuda, a signé la musique qui va nous intéresser ici : « Carrying the Weight of Life », issue de Xenoblade Chronicles 3.
« Chaque fois que j'ai travaillé sur la musique de la série Xenoblade Chronicles, j'ai cherché et puisé en moi de nouvelles sources de créativité. Pour que ma musique ne soit pas éclipsée par l'univers du jeu, je voulais qu'elle soit d'une brillance sans précédent », dit-il dans le livret inclus dans la Trinity Box de la bande son originale de Xenoblade Chronicles.
Dans cet extrait, Kenji Hiramatsu parle de ne pas laisser sa musique être éclipsée par l’univers du jeu et c’est quelque chose qu’il a amplement réussi. Plus encore, les thèmes musicaux de ce jeu endossent parfois le rôle de la narration. On se concentre ici sur trois extraits, mais cette qualité s’applique à bien d’autres de ses productions.
Pour comprendre « Carrying the Weight of Life », je vais toutefois devoir contextualiser un petit peu, mais pas trop, rassurez-vous.
Au début de cet article, vous retrouvrez l’écran titre du jeu, la première musique que je vous propose d’écouter est la mélodie qui l’accompagne, « Off-seer » . Pour toute personne ayant déjà eu le moindre contact avec la série, cet écran plante les graines de l’histoire qui va nous être contée tout au long du jeu.
Jetons un rapide coup d'œil aux illustrations des boîtes des précédents jeux de la licence. On voit Mechonis sur la première jaquette, l’un des deux Titans sur lesquels se déroule l’histoire du premier jeu, avec au premier plan la Monado, l’épée de Shulk, qui est le principal protagoniste de ce jeu. Sur la seconde jaquette, c’est Rex et Pyra qui sont au centre, sous le titre. Ils observent Uraya, un des nombreux Titans sur lesquels l’histoire se déroule. On aperçoit aussi l’Arbre Monde au fond. Quand on a ces deux images en tête, l’écran titre du troisième épisode introduit tout de suite la position du troisième volet dans cette trilogie: il constitue le trait d’union entre les deux histoires précédentes. Cette information est loin d’être anecdotique puisqu'il s'agit là, sans entrer trop dans les détails, de l’un des sujets principaux de cette histoire : la rencontre entre deux univers.
Une narration bien orchestrée
Passons à « Carrying the Weight of Life », le deuxième son de la playlist. Ce titre que vous écoutez peut-être en ce moment s’inscrit dans un archétype de musique que les fans de la série sont impatients d’entendre puisqu’elle est, comme les deux autres morceaux « Engage the Enemy » et « Counterattack », associée aux moments de climax de chaque œuvre.
Sans aller trop loin dans l’analyse, on ressent bien certains enjeux sentimentaux importants : les violons, le piano et les deux flûtes se relaient ainsi pour maintenir une émotion plus complexe que le simple sentiment de puissance que procure le côté épique de la musique. On a même droit à un passage vers la fin où les cuivres accompagnent l’envolée des flûtes qui est clairement le sommet de ce morceau. On imagine facilement une scène larmoyante dans laquelle un personnage se sacrifie. Les scènes se construisent d’elles-mêmes autour de cette œuvre, et c’est là sa grande force. L’utilisation de ce type de flûte traversière, très précisément, n’est d’ailleurs pas anodine. C’est l’instrument dont les deux protagonistes, Noah et Mio, jouent à plusieurs reprises au long de l’histoire. Elle est utilisée pour guider les âmes des défunts vers les cieux et se lie dès lors, dans l’esprit du joueur, au deuil et à la tristesse. Mais ce n’est pas tout, puisque c’est aussi grâce à cet instrument que les personnages se sont rencontrés, en faisant donc le premier point commun entre leur monde. Placer au centre de la scène ce son-climax lui offre une toute autre puissance grâce au conditionnement émotionnel déjà créé tout au long du jeu.
Si vous écoutez « Engage the Enemy » et « Counterattack » ensuite, vous entendrez que malgré des musiques dédiées au même rôle, il est impossible de leur faire raconter la même chose qu’à « Carrying the Weight of Life ». On pourrait presque dire qu’à part leur thème de « moment décisif », elles n’ont rien en commun… et pourtant ce n’est pas le cas !
Après l’écoute des musiques de Xenoblade Chronicles 1 et 2, je vous invite à réécouter « Carrying the Weight of Life » une dernière fois. Quelque chose de familier devrait attirer votre attention vers 2:15. Eh oui, on retrouve bien les leitmotivs des deux autres thèmes l’un à la suite de l’autre. Vous pouvez entendre celle de « Engage the Enemy » dans son refrain (1:09), et de même pour « Counterattack » (2:30).
Amener ces phrases musicales, qui jouent le même rôle que « Carrying the Weight of Life » dans leur titre respectif est une façon de paraphraser l’histoire que raconte le jeu dans ces instants. Les enjeux de Xenoblade Chronicles 1 et de Xenoblade Chronicles 2 se recoupent en Xenoblade Chronicles 3. Voilà ce que cela raconte. Ce qui se passe à ce moment précis ne compte pas seulement pour le monde et les personnages du 3e Xenoblade : non, il est décisif pour l’univers entier de la saga, et la musique nous le rappelle en jouant sur les émotions que suscitent les quelques notes qui symbolisent les deux premiers jeux, ces deux premiers univers qui dépendent des actions des héros.
On pourrait analyser ces titres sur bien des aspects, ce n'est pas la quantité de choses à dire qui manque, mais concentrons-nous sur le parallèle avec l’histoire. Ce qui est intéressant ici, c’est que ces trois musiques interviennent dans des moments similaires, des moments de climax. Cependant, ce n’est pas leur seul point commun. Elles partagent aussi le même compositeur, et c’est un choix judicieux d’avoir laissé Kenji Hiramatsu se charger de ces trois titres. De par sa volonté de composer des œuvres qui ne se laissent pas éclipser par le jeu, il a donné naissance à des thèmes qui sont non seulement reconnus comme iconiques au sein de la communauté, mais qui en plus racontent une histoire complémentaire à celle du jeu. C’est ici un exemple évident et très concret de narration par la musique, idéal pour introduire la question du rôle narratif de la musique.
Je tiens tout de même à souligner que si l’histoire que raconte le retour de ces leitmotivs est très concrète, je n’ai malheureusement jamais pu m’entretenir avec les compositeurs et ne peux donc pas affirmer avec certitude ce que je vous raconte là. Il y a une part non négligeable d'hypothèses dans mes propos. Certains diront que ces passages sont surtout là pour faire plaisir aux fans et c’est tout aussi possible.
Ce n’est pas la quête de vérité qui guide ces réflexions, mais bien le plaisir d’essayer d’imaginer l’histoire qui se cache derrière chaque son. J’espère que la prochaine fois que vous entendrez une musique, qu’elle vienne d’un jeu vidéo, d’une série, d’un film ou, d’un album, vous laisserez la subjectivité vous envahir quelques minutes et vous vous interrogerez sur l’histoire qu’elle raconte.