critique &
création culturelle
Algorithms of beauty de Miléna Trivier
Conter la beauté

Algorithms of beauty , film documentaire contemporain et poétique de Miléna Trivier, mène une réflexion à plusieurs chemins quant à la production d’images par l’intelligence artificielle, les mosaïques de Mary Delany et l’étrange résonance entre les deux.

Les fleurs charnelles, colorées, fertiles, divinement belles, à la fois fragiles et fortes sont une source d’inspiration inépuisable pour les faiseurs d’images. Mais existe-t-il un moyen de dépeindre la sincérité de leur beauté ?

Après Le murmure des lieux qui nous habitent , Miléna Trivier nous tend à nouveau la main avec Algorithms of Beauty , produit par Bruits une ASBL bruxelloise dirigée par Maxime Coton et Miléna Trivier elle-même. Le film a fait son apparition au festival international de documentaire Ji.hlava et sera visible à Bruxelles dans le cadre du festival En ville , un état des lieux du cinéma documentaire belge et international !

La réalisatrice nous invite au questionnement philosophique : « Une image peut-elle contenir la beauté d’une fleur ? » La narratrice, Isabelle Dumont, à l’aide de sa machine IA comme outil de création d'images, recherche une manière unique de représenter ces beautés suprêmes grâce aux algorithmes.

Alors que l’ambiance générale du documentaire est étrange, poétique et réflexive, l’intelligence artificielle utilisée est une boîte noire pas très grande qui démontre dès les premiers instants du film de troublantes sonorités énigmatiques, presque extraterrestres. Son intériorité semble contenir et comprendre tout l’univers. La narratrice passe de nombreuses heures en sa compagnie, apprivoise et tisse des liens avec ce drôle d'objet. Tout au long du film, l’IA paraît de plus en plus vivante. Pourtant, il s’agit d’une machine dénuée d’émotion, incapable de reconnaître la splendeur, se nourrissant de données fournies par l’humain.

Alors que les images de fleurs conçues par l’IA rappellent curieusement les mosaïques de Mary Delany, le film s’intéresse tout autant à cette dame. Une artiste, femme de lettres anglaise et botaniste, ayant laissé derrière elle plus de 300 images de fleurs confectionnées de ses 74 ans jusqu’à sa cécité. Les fleurs de papier sont si méticuleusement réalisées qu’elles ressemblent à du dessin ou à de la peinture. Mais quel était le but de ses réalisations ? Le film cherche à comprendre ce qui habite les créations de Delany. Dans l’un de ses herbiers, nous pouvons lire ces mots : « Ce travail de mosaïques commence dans ma 74e année pour compenser la perte de ce qui m’a été cher. » 1

© création de Mary Delany

Dans Algorithms of beauty , la narratrice nous livre ceci :

L’idée qu’une image est plus proche de la mort que de la vie est désarmante et bouleversante. Pourtant cette notion s’invite en moi comme une évidence. L’image est-elle la matérialisation de nos disparus ? Une manifestation qui soulage nos vides intérieurs ? Est-ce cette idée qui rend une image vivante et peut rendre la beauté d’une fleur ? Mais qu’en est-il de l’intelligence artificielle qui n’a pas cette conscience ?

La réalisatrice, tout comme la narratrice, semble posséder une sensibilité particulière aux objets. Un dialogue intime entre les fleurs, le papier, la boîte IA et l’actrice se tisse tendrement. La gestuelle et l’attitude de la protagoniste sont maternantes pour tous ces objets qui semblent la guider dans sa propre existence. Ses mains frôlent les objets avec grâce mais aussi avec mélancolie. Entourée par ses investigations, immergée dans cette quête, peut-être cherche-t-elle à compenser, comme Mary Delany, une perte ?

La plasticité des plans et le langage des images rendent particulièrement service à la réflexion menée. Objets, mains, visage, lumières, fleurs, compositions, nature, vie, papier... rien ne passe inaperçu et tout semble avoir plus de valeur aux yeux de la réalisatrice. Les images remplies de symbolique nourrissent les questionnements. Nous passons par exemple plusieurs minutes plongés dans l’obscurité jusqu’à ressusciter face à des plans filmés en extérieur, donnant un nouveau souffle à l’image. Ainsi, la réflexion, aussi complexe puisse-t-elle paraître, se montre évidente.

La narratrice conte le sublime, non pas la beauté de comptoir mais celle qui se trouve dans nos tripes. La beauté intime que nous tenons secrètement dans notre cœur parce qu'elle est bien différente des canevas.

Ce cheminement ne me permet plus de regarder le monde végétal avec le même regard, ni les images qui les représentent. La quête nous emmène au-delà de la matière, au-delà des sens, vers l'indicible. Peut-être l’image vit-elle à sa manière et respire autant la mort que notre regard le désire ? Finalement, le souvenir, la perte, l’essence de l’absence et l’émotion permettent à notre regard de créer du lien avec une image et de lui offrir une part d’existence.

Algorithms of beauty

de Miléna Trivier
Produit par Bruits
20 minutes

Projection au Cinéma Galeries à Bruxelles le samedi 4 février 2023