critique &
création culturelle
Climax
Le bal de la tourmente

Certains d’entre vous se réjouissent, d’autres soupirent : encore un Gaspar Noé… Chassez le naturel, il revient au galop ! Le réalisateur reste fidèle à lui-même dans Climax , notamment dans le montage et les mouvements de caméra.

En ajoutant une touche d’humour et d’absurde, assez surprenante dans un récit inspiré de faits survenus pendant l’hiver de 1996 en France, Noé relève le défi de filmer la violence et la souffrance d’un autre point de vue cette fois, celui de la danse. Des mouvements très chorégraphiés et des gestes mesurés servent l’expression du viscéral.

À l’avant-première suisse à laquelle il est présent par vidéo, il se montre souriant et taquin. Il est accueilli en véritable rock star par les cris et les applaudissements d’un public assez jeune, avide de découvrir son film tourné en quinze jours et présenté… à la Quinzaine des réalisateurs en mai dernier à Cannes 1 .

Noé nous explique comment l’idée de filmer une troupe de danseurs pratiquant le voguing 2 lui est venue. Présent à un ball (bal de voguing ) organisé par des troupes (des house ) dans la banlieue parisienne, il a fait la connaissance de Kiddy Smile, acteur dans Climax , DJ et artiste hip-hop militant pour les droits LGBT 3 . C’est lui qui a convaincu les autres danseurs de participer au projet de Noé, auquel s’est joint la danseuse Sofia Boutella (co-chorégraphe du film), qui avait déjà joué dans des films à reconnaissance internationale ( Kingsman, Star Trek ).

Avec beaucoup d’humour, Noé nous souhaite une bonne projection, une « belle expérience », et souhaite vraiment que « personne ne sorte de la salle avant la fin » 4 , parce que, à son avis, ce film est le plus mesuré de sa carrière, « il a décidé de ne pas montrer de pénis dedans ». Rires.

Pour Climax , le mot « expérience » prend encore une fois tout son sens. On peut encore évoquer les infernales lumières rougeâtres, la caméra en tourbillon, le cadrage cru et les plans aériens.

L’intrigue est simpliste. Une troupe de danseurs urbains fête la fin d’un stage, et quelqu’un met du LSD dans la sangria, à leurs dépends. S’ensuivent bad trips , délires, crises d’épilepsie et situations improbables et fâcheuses que chacun vit différemment. Leur esprit devient paradis ou enfer et les confronte à leurs névroses et leurs psychoses pendant une longue nuit.

Nous rencontrons le groupe par les vidéos de casting spontanées, non dénuées d’humour, qui ouvrent le film. « Que ferais-tu si tu ne pouvais plus danser ? Je me suiciderais » ou « Crois-tu au Paradis ? Oui. Parce que je veux y croire » ou encore « j’ai quitté Berlin car il y avait trop de drogues, mon ex-coloc prenait de l’acide par les yeux, c’était trop nul ». On trouve, pêle-mêle, David, le danseur arriviste et pervers de la troupe, les cousins « chauds lapins », Taylor et Gazelle, frère et sœur (trop) soudés, la mère célibataire ex-danseuse, Selva la chorégraphe volontaire, et un contorsionniste congolais. Il y a aussi une lecture parallèle (contemporaine ?) du sort de ces individus, enfermés dans une salle des fêtes glauque, qui ne vivent que dans et par leur corps, et pour lesquels s’échapper psychologiquement est douloureux, voire inconcevable. Noé pousse souvent des appels à voir autrement et à penser à l’au-delà, à une autre division du temps.

Le film, à huis clos, est scindé en deux. Noé nous offre plusieurs versions, comme si l’une était « la joie de vivre » et la deuxième « l’enfer de la réalité ». Le film s’ouvre dans une insouciance festive (une chorégraphie de dix minutes en plan continu !) puis bascule. On reconnaît aussi la familière division en chapitres avec les citations en typographie épaisse, imposante (« Naître et mourir sont des expériences extraordinaires. La vie est un plaisir fugace. »). Il faut mentionner la musique du film, un mélange de classiques électro, techno et de funk, et de nouveaux morceaux composés pour le film par Thomas Bangalter (la moitié de Daft Punk, habitué des BO de Noé) qui se marie parfaitement aux images, véritable ciment d’ambiance. Climax est une comédie musicale « d’horreur » et le titre veut bien sûr faire référence au point culminant, qu’il soit de l’horreur, d’une représentation ou du plaisir sexuel.

Le public reste absorbé et évidemment horrifié pendant la plus grande partie du film, mais quelques rires nerveux s’élèvent. Il faut dire qu’il y a aussi énormément d’humour noir et d’absurde à voir ces personnages qui se débattent vainement contre une force immatérielle, invitée par la fête et le désir de démesure, qui prend possession de leur esprit et de leurs corps. Un parallèle intéressant avec la danse (vitale), la mesure du geste et la précision jusque dans l’agression et la panique. Une œuvre franche, physique, une danse tribale voguant entre le profane et le spirituel.

Alors… qui veut de la sangria ?

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Climax

Écrit et réalisé par Gaspar Noé
Avec Sofia Boutella, Romain Guillermic, Souheila Yacoub, Kiddy Smile
France / Belgique, 2018
95 minutes