Œuvre magistrale et controversée de François Ozon, Grâce à Dieu, qui relate la lutte des victimes de pédophilie au sein de l’église catholique, sort ce printemps ; alors même que les procès de prêtres continuent à attirer l’attention médiatique sur le code de silence de l’Église, au détriment du ressenti et du parcours de combattant des victimes1.

« Grâce à Dieu, tous ces faits sont prescrits »2

Le lundi 18 février 2019, la justice française a en effet autorisé la sortie du dernier film de François Ozon, primé à la Berlinale (Grand prix du Jury). Elle a refusé tout report de la sortie du film, alors que l’avocat du prêtre incriminé évoqué dans le film demandait de la retarder jusqu’au procès de son client.

Plus qu’un film inspiré, Ozon signe une véritable polyphonie, interrogeant la spiritualité de l’homme moderne, ses valeurs, par la force des ses dialogues et de ses images, portées par une chorale d’acteurs justes.

Archi-documenté et emmené par des acteurs exceptionnels, François Ozon fait écho à l’actualité et s’empare d’un scandale : celui des abus sexuels par un prêtre – perpétrés sur des dizaines de scouts – pendant près de deux décennies, jusqu’en 1993, à Lyon. Habitué au mélange des genres (comédie, drame), Ozon s’est basé cette fois sur des faits réels qui ont choqué le public français ces dernières années. Ce que le film raconte, avec une maîtrise et une pudeur impressionnantes, c’est ce qui s’est réellement passé. Ozon nous présente, outre des portraits déchirants, une intéressante réflexion sur la liberté d’expression et le pardon, la force de le donner, mais aussi de le recevoir. Comme dans tous ses films, les thèmes de la famille, de l’individualité, des libertés et des choix sont omniprésents, mais ne viennent à aucun moment contre-romancer ou grossir le propos documentaire.

En effet, si le film retranscrit la réalité des faits, des correspondances (intéressante solution : en voix off), les acteurs n’ont rencontré les victimes qu’après le tournage. Swann Arlaud, intense Emmanuel dans le film (voir photo ci-dessous avec Josiane Balasko), un jeune homme prisonnier de sa colère et incapable d’entreprendre autrement que par celle-ci, affirme qu’ils ont eu « la liberté d’inventer le caractère des personnages »3

Le film s’ouvre sur un plan poétique, et fait écho à la trame du film : le cardinal bénit la ville de Lyon, immense étendue bruyante et moderne, depuis la romantique Notre Dame de Fourvières. Survient le personnage d’Alexandre, un père de famille toujours très religieux, joué par Melvil Poupaud, habitué à travailler avec Ozon depuis notamment  le Temps qui reste (2005). C’est suite à l’initiative de ce banquier croyant et à son long questionnement personnel et religieux qu’un procès va être lancé contre le cardinal Barbarin, coupable d’avoir ignoré les actes du Père Preynat, accusé d’inaction. On le voit se débattre avec l’administration ecclésiastique, se confier à la collaboratrice du cardinal, pour s’entendre dire que « Preynat devrait lui demander pardon » alors qu’il demande clairement de le défroquer. Seulement, le pardon peut être un piège, celui du silence, et il y a autant de protagonistes que de manières de (sur)vivre. L’Église ne fera rien, et c’est seulement lorsque d’autres victimes, de milieux et de destins variés se rejoindront et qu’ils pourront faire résonner leurs voix.

Le récit tourne autour de la liberté de la parole qu’Ozon fait résonner pour mieux comprendre l’omerta ecclésiastique et faire bouger un système douloureusement engourdi. Le réalisateur n’a pas l’Église dans son viseur, il ne la diabolise à aucun instant. Plutôt, il préfère souligner le courage et l’intelligence des personnages, leurs desseins unis. Ensemble, les victimes se battent, déterminées, pour leur cause via leur association La Parole Libérée. Loin de tout voyeurisme, Grâce à Dieu est un film émouvant, maîtrisé et construit de bout en bout. Il fait humblement office de fresque sociale. Entre temps, en mars 2019, le cardinal Barbarin a été jugé et condamné à 6 mois de prison avec sursis, pour non-dénonciation de crimes pédophiles : une victoire, malgré le jugement prononcé trop léger, en attendant le procès du prêtre Preynat à la fin de la même année.

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Grâce à Dieu 

Réalisé par François Ozon

Avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud

France, 2018

 


  1. Le délai de prescription pour la dénonciation d’abus sexuels est passé à 30 ans en 2018. 

  2. Paroles du Cardinal Barbarin, en avril 2016, lors d’une conférence de presse ayant trait à son accusation en justice. 

  3. Cinéma, 20 minutes Suisse, mercredi 20/02/2019, p. 21–.