critique &
création culturelle
Le Fiff de Namur 2022
Douceur et légèreté dans la gravité des propos

En ce début d’octobre, le Festival International du Film Francophone de Namur a ouvert ses portes pour sa 37e édition. Lors du premier week-end, 25 courts métrages nationaux et internationaux ont été mis à l’honneur au sein de la compétition du court pour tenter de remporter un des prix, voire le Bayard du Meilleur Court Métrage.

Situé en plein cœur de Namur, le FIFF a pour vocation de faire découvrir à tout un chacun la diversité du cinéma francophone et ce pour partager le cinéma, en vrai et en grand. Parmi cette multitude de films, nous avons choisi de parler de nos coups de cœur présents lors des troisième, quatrième et cinquième parties de la compétition du court.

Maman fait dodo de Solenn Crozon est un film estudiantin provenant de l’IAD qui raconte en toute simplicité et sobriété l’errance de la petite Maya, livrée à elle-même, attendant que sa mère se réveille. La mère n’apparaît jamais à l’écran, ce qui permet finalement à la réalisatrice de se focaliser essentiellement sur le personnage de Maya en la filmant à hauteur d’enfant et en gros plan pour plus d’immersion avec sa protagoniste. Le spectateur suit sur plusieurs jours le quotidien esseulé de la petite fille en huis clos : Maya regarde la télévision, pique des chocolats à sa maman, dessine sur les murs, se fait à manger, prépare le déjeuner de sa mère (constitué essentiellement de pain largement beurré, de cigarettes et de café), se maquille, etc. Inspiré d’un fait divers, le film affecte par son propos, mais reste touchant et doux par son approche. Il réussit à capter le spectateur qui se prend d’empathie pour cette enfant, très bien incarnée par la petite Théa De Boeck.

Mais la solitude intervient à tout âge, comme le dépeint le film de Quentin Moll-Van Roye, Yser . Ce court-métrage documentaire est porté par Samantha, qui a accepté de témoigner face caméra lors d’une enquête sur les personnes trans travaillant dans le quartier Yser de Bruxelles en tant que prostituées. Samantha, ainsi que d’autres de ses collègues, risque chaque jour sa vie pour pouvoir gagner assez d’argent afin d’avoir un toit et de quoi se nourrir. Au vu du sujet délicat, le réalisateur a eu une approche très respectueuse : il oscille entre le témoignage grave de son personnage principal en gros plan et des moments de respiration en plan plus large et mis en scène pour portraiturer en toute légèreté cette Roumaine. Tout comme Maman fait dodo , Yser est très touchant malgré la gravité de ses propos et de la réalité à laquelle le personnage principal doit faire face.

Pour le troisième film de la sélection coup de cœur de la compétition, le réalisateur Jean-Jean Arnoux opte également avec Mon Tigre pour la narration d’une personne pleine de solitude. Mon Tigre raconte le quotidien de Monsieur K travaillant pour Pasta Gel, une entreprise qui commercialise un produit miraculeux pour avoir les cheveux lisses et brillants. Cependant, suite à un malencontreux accident avec la photocopieuse, la vie tranquille de Monsieur K prend un tournant inattendu et aucun retour en arrière ne sera possible. Le fait que ce soit le seul film d’animation parmi la quinzaine de courts-métrages visionnée fait que nous avions décidé de le mettre à l’honneur. De plus, ce film est constitué d’un rythme très dynamique grâce à un montage effréné et une musique endiablée qui entraînera plus d’un dans le délire du tigre de Jean-Jean Arnoux.

Alors que la troisième compétition du court se concentrait essentiellement sur la solitude, la thématique récurrente des films coups de cœur de la compétition du court 4 se penche plutôt sur l’abandon avec Vulnérable de Noureddine Zerrad et To Vancouver d’Artemis Anastasiadou.

« Je suis vulnérable, c’est pour cela que je me bats », tel est le message littéralement mis en scène par Noureddine Zerrad dans Vulnérable qui représente en quelques scènes le combat d’Anissa, se donnant corps et âme au MMA (Mixed Martial Art). D’un point de vue scénaristique, visuel et rythmique, le réalisateur compare les deux principales épreuves de la vie de sa protagoniste, tiraillée entre le ring et sa vie familiale. La caméra met en évidence ce tiraillement avec un début caméra à l’épaule pour suivre les corps se battre sur le ring et une caméra stable, posée pour dépeindre cette femme vulnérable en train de tenir tête à son frère dans les vestiaires. Très inspiré de Million Dollar Baby de Clint Eastwood, Vulnérable est un film à l’esthétique soignée qui va à l’essentiel, convenant parfaitement au format de court métrage.

Pour continuer sur les rapports fraternels et sur le sentiment d’abandon, To Vancouver d’Artemis Anastasiadou surprend son spectateur, tout comme la réalisatrice s’est laissée surprendre par la légende que renferment les lieux magnifiques et épurés sur lesquels elle envisageait de tourner. To Vancouver nous prend gentiment par la main en choisissant le point de vue de Vicky qui assiste au départ de son frère pour le Canada. Sous l’ombre de la légende de Lamia de Brinias, la notion d’abandon revient car Vicky ne reverra peut-être jamais son frère. Rien n’est dénoncé explicitement, mais tout est dit par le lien fraternel et par le contexte dans lequel les protagonistes vivent. Tel un tour de magie, To Vancouver apparaît et disparaît trop vite sans que nous ne saisissions trop ce qu’il vient de se passer. D’ailleurs, notre coup de cœur a été partagé par le jury qui a décidé de lui remettre le prix « coup de cœur international ».

Le dernier film sort des deux thématiques préalablement abordées pour se concentrer sur l’absurdité administrative vis-à-vis de nos origines.

A.O.C. pour Appellation d’Origine Contrôlée de Samy Sidali introduit une équipe de tournage dans la procédure administrative empruntée par Latefa et ses deux enfants afin de franciser leurs prénoms pour des raisons d’intégration et de non-discrimination à l’embauche. A.O.C. surprend par son authenticité : tant au niveau du scénario car il est basé sur une histoire vraie, tant par sa mise en scène qui oscille entre des moments d’entretiens et de la vie quotidienne, que dans le jeu des acteurs et dans la complicité qui les lie. Le sujet de la diversité, de l’acceptation de l’autre, de la tolérance et surtout de l’identité est agréablement traité avec humour, ce qui rend ce film et son sujet très accessibles pour tout public.

Quant au Bayard du Meilleur Court Métrage, celui-ci est revenu à Arbres de Jean-Benoît Ugeux , déjà connu du festival pour avoir gagné en 2019 le même Bayard et le Prix d’Interprétation pour La Musique . Avec Arbres , le réalisateur traite de l’exploitation de cette matière première et des conséquences que cela implique. Lors de la remise des prix, Jean-Benoît Ugeux a confié qu’à la base, son court métrage ne devait pas prendre cette direction et qu’il souhaitait simplement se pencher sur les petits insectes qui peuplent ces plantes des forêts. Finalement, le hasard l’a mené à prendre une thématique qui semble un peu plus engagée, mais n’ayant malheureusement pas pu visionner ce film, nous ne nous aventurons pas plus loin.

Au travers de cette compétition, le Festival International du Film Francophone de Namur a voulu mettre en valeur ce format rassemblant ces courts-métrages leur donnant ainsi plus de visibilité. Si les thèmes de la solitude et de l’abandon sont principalement ressortis, c’est sûrement parce que ce sont des sujets actuels qui taraudent notre société post-confinement. Cependant, l’approche employée par les réalisatrices et les réalisateurs amène assez de recul et de bon goût pour que la gravité de leurs propos soit moins lourde et prise avec plus de légèreté et de douceur.

Même rédacteur·ice :
Voir aussi...