critique &
création culturelle
L’Échelle de Jacob
Descendre pour mieux monter

Film au succès d’abord modeste et par la suite devenu culte, L’Échelle de Jacob (1990) est une œuvre horrifique pas comme les autres. Adrian Lyne, son réalisateur, invite le spectateur à plonger dans la démence d’un ex-soldat ayant combattu au Vietnam. Expérience sensorielle avant tout, L’Échelle de Jacob déstabilise et dérange, tel un cauchemar sans fin. Une grande œuvre, qui ne s’oublie pas.

Dans l’histoire du cinéma, bon nombre de films ont gagné une réputation grâce à leur style visuel singulier. L’Échelle de Jacob fait partie de ceux-là. Film d’horreur dramatique, la peur est ici avant tout psychologique. Pas de monstres, quelques jump scares bien efficaces , mais surtout, la démence d’un homme rongé par ses souvenirs de la guerre. En choisissant de baser la terreur de son film sur ce point, Adrian Lyne offre une expérience dont on en ressort heurté, tel un choc qui resterait inscrit dans notre mémoire pour l’éternité.

Avant L’Échelle de Jacob , Adrian Lyne sort de plusieurs succès tels que  le cultissime Flashdance et sa bande-son mythique ou encore le drame érotique 9 semaines ½ avec Mickey Rourke et Kim Basinger.  Il s’est ensuite tourné vers des œuvres qui ont moins marqué le public.

Jacob Singer, ex-militaire ayant combattu au Vietnam, est aujourd’hui postier dans la ville de New York. Lorsqu’il commence à être victime de cauchemars, dans lesquels il revoit la mort d’un de ses fils, ainsi que d’ hallucinations, Jacob cherche à comprendre ce qui lui arrive. Rapidement, l’homme bascule dans une folie qui ne le quittera plus.

Si Adrian Lyne a choisi ce titre pour son film, c’est tout sauf un hasard . Dans la Bible , l’Échelle de Jacob relie la terre et le ciel, d’où des anges montent et descendent. Le long-métrage est donc, en partie, une représentation cinématographique de cet épisode biblique. Et c’est là probablement une des plus grandes réussites de l’œuvre, transposer un récit, de base très métaphorique, dans une société réelle.

La terre est ici représentée par ses souvenirs douloureux de la guerre, son fils décédé ainsi que ses visions cauchemardesques de visages angoissants. Lorsqu’il comprend qu’il est en réalité mort dans le conflit au Vietnam, et qu’il accepte cela, son ascension vers le ciel peut commencer. Le réalisateur représente d’ailleurs cela avec une scène où son défunt fils l’attend assis dans un escalier et l’invite à monter. Jacob peut donc, symboliquement, grimper l’échelle pour quitter la terre et rejoindre le ciel, où il y trouvera la paix qu’il cherchait.

En choisissant d’explorer le traumatisme de la guerre chez un ancien combattant, le réalisateur traite d’une douleur bien réelle et qui existe encore chez certains qui ont connu les désastres de la guerre.

C’est principalement dans sa réalisation que L’Échelle de Jacob tire son côté horrifique. Très rapidement, on prend place dans une ambiance froide, anxiogène, étouffante. Que cela soit dans la scène du métro ou de l’hôpital, Adrian Lyne parvient à créer des déflagrations visuelles qui restent gravées à jamais.

Le film est également ponctué de flashbacks mêlant passé et présent, dans le but de déboussoler. En brouillant la frontière entre rêve et réalité, Adrian Lyne pousse le spectateur à s’interroger. Bien que certains dialogues donnent des indices sur le twist de fin, ce n’est que dans les dernières minutes du film qu’on comprend réellement ce qu’il se passe dans la tête de Jacob.

Après presque deux heures de film, on ressort essoufflé, déboussolé, comme témoin d’un évènement dont on sait que sa trace sera inscrite à jamais. Tim Robbins y offre probablement ce qui est une de ses meilleures interprétations . Sa justesse en tant qu’ancien combattant traumatisé par des visions horrifiques est brillante. Elizabeth Peña, qui joue sa compagne, est également très juste dans son rôle. À noter l’apparition, le temps de quelques scènes, du jeune Macaulay Culkin.

Pour son statut culte, ses scènes inoubliables, son acteur principal, sa dimension biblique, L’Échelle de Jacob fait partie de ses rares œuvres qui marquent à vie. Pour apprécier pleinement la lumière, il faut avoir plongé dans l’obscurité la plus pure.

Même rédacteur·ice :

L’Échelle de Jacob

Réalisé par Adrian Lyne
Avec Tim Robbins , Elizabeth Peña , Pruitt Taylor Vince
États-Unis, 1990
115 minutes