critique &
création culturelle
Montre jamais ça à personne
récit intimiste de la réussite d’Orelsan

Grâce à des images capturées pendant une vingtaine d’années, Clément Cotentin, petit frère d’Orelsan, nous propose une immersion authentique dans l’univers du rappeur. Avec beaucoup de douceur et d’humour, Montre jamais ça à personne relate comment Orelsan a gravi les échelons du succès tout en restant fidèle à lui-même et à ses proches.

C’est l’histoire d’Aurélien, un jeune Caennais (ou plutôt Alençonnais), qui veut faire du rap. Enfermé dans son appartement, il passe des heures à écrire entouré de ses amis Skread, Gringe et Ablaye qui l’aident à composer ou squattent son canapé. Son petit frère, Clément, les suit partout avec sa caméra, dans l’idée de réaliser un jour un documentaire. Car il croit au talent d’Aurélien, sans doute plus qu’Aurélien lui-même. En atteste cette phrase devenue leitmotiv « Montre jamais ça à personne » qu’Aurélien adresse à Clément comme pour s’excuser de ses débuts hésitants.

Clément avait raison d’y croire : 13 ans plus tard, le 15 mars 2018, Aurélien remplit le Paris-Bercy sous le pseudonyme Orelsan. Ses textes, les fans les récitent par cœur. Dans le public ce soir-là, on retrouve sa famille, dont la fameuse mamie Janine qui l’accompagne sur le titre « J’essaye, j’essaye ». Ce qui ne devait jamais être montré à personne est devenu en 2021 une série documentaire de six épisodes, grâce à tous ces rushs captés pendant 20 ans par Clément qui, entretemps, est devenu journaliste.

C’est précisément cette mine d’or de rushs qui a permis à Clément d’opter pour le format série, un genre dont il maîtrise les codes : il parvient à maintenir notre attention à coup d’effets de suspense (l’épisode se termine juste avant un événement déterminant) et d’annonces sur l’épisode suivant.

Montre jamais ça à personne nous fait voyager dans le temps à travers des images d’archives amateures commentées par la voix-off de Clément, mais aussi d’interviews récentes d’Orelsan et de ses collaborateurs et proches. La série retrace chronologiquement le chemin qu’il a parcouru, depuis la création de son compte Myspace à la renommée qu’on lui connait aujourd’hui, en passant par les polémiques1 autour de la chanson « Sale pute ». Ce long chemin, parsemé de doutes et d’apprentissages, est aussi empreint de la complicité et des délires d’une bande de copains. La proximité entre Clément et Aurélien confère intimité et authenticité aux propos recueillis, si bien qu’on s’attache facilement aux protagonistes. À chaque période de la carrière du rappeur est associée une chanson que l’on découvre grâce à une bande son qui contribue à rythmer la narration. À cela s’ajoute une bonne dose d’autodérision. Résultat : on est captivé et on en oublie l’objectif évident de promotion de l’artiste. De fait, ce n’est pas un hasard que la série soit sortie juste un mois avant la parution de son dernier album, Civilisation , une opération marketing qui a d’ailleurs fonctionné à merveille. Ceci dit, qu’on aime le rap ou non, que l’on connaisse déjà Orelsan ou non, impossible de rester insensible à cette histoire, celle d’un jeune homme qui est allé au bout de ses rêves sans jamais oublier ses proches, qui est resté fidèle à lui-même malgré la célébrité.

Le récit de la carrière d’Orelsan, qui s’est construite pas à pas, est aussi l’occasion pour les non-initiés de découvrir l’industrie de la musique. Se faire connaître, dégoter un contrat auprès d’une maison de disques, se créer une identité publique, apprendre à se produire sur scène, composer des tubes comme « La Terre est ronde » et réaliser des clips qui cartonnent comme celui de « Basique », entretenir une relation saine avec les médias et les fans… autant d’étapes inévitables pour pouvoir vivre de ce métier. Présenté comme un travailleur acharné, Aurélien a fini par cocher toutes les cases de ce qui s’apparente à un modèle de réussite. Reste une question primordiale : comment concilier ces impératifs avec une vie de famille épanouie ?

Quand Clément demande à Aurélien et à Skread quel pourrait être le pitch de son film, les deux répondent – sans se concerter – que « ce n’est que le début ». C’est ainsi que le dernier épisode annonce déjà une deuxième saison. Elle devrait d’ailleurs arriver cette année sur Amazon Prime Video. Autant le rythme de cette première saison était suffisamment soutenu pour nous tenir en haleine, et tous les ingrédients réunis pour nous faire tomber sous le charme, autant on se demande ce qu’il pourrait encore y avoir à raconter. Quoique… avec ces gars-là et toute la créativité dont ils ont déjà fait preuve, on n’est sans doute pas au bout de nos surprises.

Montre jamais ça à personne

Réalisé par Clément Cotentin et Christophe Offenstein

Amazon Prime Video, 2021

Six épisodes de 42 minutes