critique &
création culturelle
The Wire

Autopsie d’une Amérique noire aux abois, fresque d’une densité shakespearienne aux héros janiformes, terrible pandémonium sociétal où se mêlent dealers au grand cœur et flics ripoux, The Wire est tout cela et bien plus encore.

Don’t believe the hype…

Passée peu ou prou inaperçue lors de sa sortie en 2002 (sur HBO, pour changer), The Wire ( Sur écoute en V.F.) puise sa source dans deux ouvrages signés David Simon : Homicide: A Year on the Killing Streets (paru en 1991, donnant naissance à Homicide , série diffusée sur NBC de 1993 à 1999 et traduit en 2012 chez Sonatine sous le titre Baltimore — à lire !), et The Corner : A Year in the Life of an Inner-City Neighborhood (1997, coécrit avec Ed Burns dont sera tirée la mini-série The Corner ).


Souvent considérée comme « la meilleure série de tous les temps » , Sur écoute n’usurpe nullement cette antienne tant elle décrit avec une méticulosité chirurgicale le quotidien criminel de la ville de Baltimore (60 km de Washington) ; flicailles corrompues, dockers, trafiquants de tous poils, politicards, syndicalistes, juges retors, profs dépassés et journaleux s’y succèdent pour faire apparaître la complexité du kaléidoscope humain. Mensonges, compromissions, bravoure, traîtrise, couardise : autant de facettes avec lesquelles devront composer la kyrielle de personnages émaillant la série.

Cinq saisons durant (chacune se focalisant sur une thématique particulière — syndicalisme, éducation, politique, presse — mais formant une sorte de vortex entourant le trafic de drogue, fil conducteur), une équipe de policiers procède à des écoutes téléphoniques qui mettront au jour, à force d’informations laborieusement glanées, de vastes trafics et réseaux de corruption, présents dans tous les milieux sus-cités. De l’inspecteur irlandais alcoolo queutard mais ô combien attachant et brillant à l’inénarrable Bubbles, sorte deHuggy les bons tuyaux sous crack, en passant par le christique Omar, Robin des bois gay au visage balafré, c’est une véritable cour des miracles de gueules plus attachantes et intéressantes les unes que les autres que nous offre Sur écoute . Jamais dans l’histoire des séries, une telle richesse de characters (pas moins d’une centaine) n’est venue sertir et servir l’intrigue, certains se payant même le luxe de disparaître durant quelques épisodes…

Sa représentation quasi photographique de la Ville américaine (sociologues et anthropologues urbains ont participé à la rédaction des scénarios), spectre tentaculaire, miroir déformant du citoyen et véritable objet de la série, son incessante volonté d’écarter tout manichéisme, son exploration abyssale des thèmes sociopolitiques américains du début des années 2000 font de ce chef-d’œuvre de l’ entertainment US une œuvre qui dépasse largement le cadre du tube cathodique.

À l’aide d’une épure clinique et poisseuse (zéro musique alors que les réal auraient pu céder à la tentation de nous arroser de rap putassier), désincarné jusqu’à l’os, jamais jugeant et encore moins manichéenne, dénué de tout artifice (la police travaille avec de vieux portables jetables et Windows 98…), plus Mobb Deep que Kanye West, terriblement intense et exigeante, The Wire s’impose comme un must : oui, la révolution sera télévisée !

https://www.youtube.com/watch?v=zmIvu1yg3bU

Même rédacteur·ice :

The Wire

Créé par David Simon
Avec Dominic West, Lance Reddick, Sonja Sohn, et Andre Royo
États-Unis , 2002-2008, 60 minutes par épisode

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