critique &
création culturelle
Le Serment (The Promise)
entre fiction palpitante et décodage vertigineux

Il fallait oser ! On en parlait tous les jours, aux JT, dans les journaux, sur Facebook, au café du commerce. Du conflit israélo-palestinien. Qui suscite des débats si houleux, si poisseux qu’un avis nuancé vous vaudra, dans une symétrie surréaliste, du sale sioniste et de l’antisémite. Il fallait oser, oui ! Nous précipiter à la rencontre des uns et des autres, sur le terrain, hier et aujourd’hui…

Le pitch ? Erin, une jeune Anglaise, a décidé de passer l’été auprès de sa meilleure amie, Eliza, une juive qui rentre en Israël pour effectuer son service militaire. Avant de partir, elle se rend dans un hôpital où son grand-père, Len, semble à l’agonie. Elle le connaît très mal, car il a eu des relations difficiles avec sa fille et traîne un passé aussi nébuleux que mystérieux, qui l’a vu emprisonné à son retour de Palestine, où il servait durant le Mandat britannique. En triant les affaires du vieillard, Erin met la main sur un journal et décide de l’emporter. À partir de cet instant, son voyage devient multiple : elle découvre l’Israël contemporain, ses richesses et ses douleurs, sa complexité inouïe, mais elle voit, en parallèle, resurgir, via les souvenirs de Len, la période méconnue qui a précédé la naissance de l’État juif. Une double immersion qui s’accompagne d’une quête identitaire : Erin, à la recherche de la

quinte essence

de son grand-père, se jette sur l’écheveau des racines, interroge ce qu’elle est, ce qu’elle veut être. Elle devient.

Soyons clairs ( NDLA : comme… Claire Foy, l’interprète épatante d’Erin). Cette minisérie est pour nous le sommet absolu du genre. C’est d’abord une excellente histoire, captivante et émouvante, bien filmée, très bien jouée. Il y a ensuite une dimension philosophique et éthique. Quand l’intrigue amène à réfléchir. Sur la nécessité de dépasser les clichés, les amalgames. D’oser, sortir de chez soi et de soi, aller vers l’autre. Quand elle informe sur le monde et ses enjeux, ses victimes, la source des maux, avec l’imbrication de pages d’histoire et de reportages (sur la vie actuelle en Israël, à Gaza, en Cisjordanie).

Or, la série a provoqué une levée de boucliers chez les plus farouches défenseurs de la politique israélienne, qui lui ont reproché de manipuler les faits (historiques ou actuels) et l’opinion en faveur de la cause palestinienne.

Pourtant. Kosminsky est une pointure, un modèle d’engagement1 . Il a couvert des conflits, on lui doit des réalisations réputées, documentaires ou fictions, sur les interventions britanniques en Bosnie ou en Irak, la politique de Tony Blair, la dérive islamiste des jeunes musulmans immigrés, etc. Il a choisi d’aller tourner sur place et de recourir à un maximum d’acteurs israéliens, des Arabes pour jouer les Arabes et des juifs pour jouer les juifs.  Il a levé une armée d’historiens, aussi, qui ont passé des années à étudier la période qui a précédé la naissance de l’État juif, et une autre, de juristes, pour l’aider à équilibrer son œuvre.

Pourtant. Kosminsky est juif, il a été élevé avec les récits d’un grand-père adoré, un rescapé des camps, et il ne peut décemment être suspecté d’antisémitisme.

Len.

Alors ? Il y a un malentendu sur la perspective. Cet homme intègre a d’abord voulu raconter la tragédie vécue par les militaires britanniques qui devaient appliquer le Mandat dans des conditions impossibles. Ceux-ci ont vécu l’enfer en Orient puis été occultés, comme sanctionnés, à leur retour, pour laisser toute la place à l’euphorie de la victoire de 1945. Et Kosminsky de braquer son projecteur sur les dirigeants anglais, leur gestion calamiteuse de la décolonisation, qui a précipité juifs et Arabes dans un conflit qui perdure. Ayant interviewé des dizaines de survivants, il a construit un héros qui épouse la trajectoire de ces soldats, aventures et sentiments : il arrive donc en Palestine, comme la majorité d’entre eux, très pro-juif ( NDLA : quand on a participé à la libération des camps…) mais il en partira pro-arabe, convaincu qu’on abandonne des populations locales peu préparées à lutter contre un ennemi bien supérieur (au niveau armement, organisation…).

Que découvre-t-on ? La genèse d’Israël n’est pas celle qu’on croyait. Sous le Mandat britannique, une puissante organisation terroriste juive, l’Irgoun, recourt à la terreur, notamment contre les Britanniques, et l’un de ses attentats (contre l’hôtel King David , siège du QG british) fera des dizaines de morts. Elle procède à des enlèvements, des tortures ou des exécutions. Elle encourage l’espionnage, à grande échelle, via des femmes juives déléguées pour séduire les soldats anglais. Elle propage la haine via des émissions radiophoniques. Le malaise nous étreint. Puis une réflexion s’insinue. La mise en parallèles des terrorismes d’hier et d’aujourd’hui mais inversés. Avec cette subtile mais nauséeuse mise en abyme quand la mère d’Eliza traite les kamikazes arabes d’animaux avant de se voir rappeler que son propre père a posé des bombes au King David .

Les turpitudes contemporaines sont mieux connues (via les JT) : une famille palestinienne voit sa maison détruite parce que l’un de ses membres a participé à un attentat ; des jeunes filles palestiniennes sont harcelées et molestées à Hébron, etc.

Que des faits avérés ? Oui. Mais utilisés de manière un peu trop unilatérale ? Parce qu’un artiste est avant tout du côté des faibles et des opprimés ?

Katharina Schuttler (Clara Rosenbaum) et Christian Cooke (Len Matthews).

À y regarder de plus près, Kosminsky a présenté un condensé assez serré (trop !) de ce qui doit être reproché au Proto-Israël et à l’Israël d’aujourd’hui. Mais il a beau avoir montré les camps nazis, au début, ou rappelé la Shoah, à l’intérieur du récit, évoqué même le massacre des juifs d’Hébron (en 1929), bref tenté de donner la parole à toutes les parties, ses images sont plus prégnantes que ses mots et elles manipulent notre empathie. On ne dit pas ou pas assez l’attaque des États arabes contre le jeune État juif, on ne voit pas la mainmise du Hamas sur la Bande de Gaza, où Erin s’aventure. Nos deux héros britanniques, la jeune fille aujourd’hui mais Len en 1946-1948, ont des amis, des amours parmi les juifs et les Arabes. Certes, les premiers ont souvent des allures de bobos mais le frère d’Eliza, un activiste de gauche (la star israélienne Itay Tiran), est la plus belle rencontre d’Erin… et des spectateurs. On ajoutera qu’il est victime d’un attentat alors qu’il se bat quotidiennement pour… la cause palestinienne. Comble de l’ironie… et du désaveu de la violence arabe !

Kosminsky devait-il tout dire ? Le pouvait-il ? Ne confond-on pas ici le véniel et le mortel (qui serait une propagande unilatérale) ? Quelle est la liberté du créateur (de fiction), quelles sont les limites de l’interprétation, de la sélection ? Peut-on être intègre et partial ? Par exemple, en adoptant un point de vue subjectif mais en utilisant des matériaux véritables, tout en ne tronquant pas trop leur mise en perspective ?

Kosminsky, ne faisant ni œuvre d’historien ni de journaliste, a respecté son cahier des charges. Ce qui ne dispenserait pas, selon moi, d’adjoindre un bandeau fiction sous les épisodes. Ou d’entourer une projection d’un débat contradictoire. Mais. Évoque-t-on ces précautions quand on nous montre un film sur les croisades ou la guerre d’Espagne, les conflits vietnamien ou irlandais ?

Quoi qu’il en soit, la minisérie n’atteint-elle pas une dimension métaphorique en nous renvoyant au rapport de l’Occident avec le dossier israélo-palestinien ? La conscience collective ayant progressivement basculé d’un camp à l’autre, suivant les métamorphoses de l’opprimé et du réfugié ?

L’intégrité, dès lors, commandait d’apporter un contrepoint à cette vision et il y avait ce film fameux de 1960, Exodus , qui retraçait là aussi le Mandat britannique, la genèse d’Israël, mais en embrassant clairement la cause juive. Nous ignorions que cette immersion-là allait nous interroger viscéralement sur la propagande et la manipulation.

Mais. Suite au prochain numéro !

Spoiler (à ne pas lire avant d’avoir visionné la série) : le titre fait référence à la promesse faite par Len à son ami arabe Mohammed : lui ramener son fils Hassan sain et sauf. Mais ce fils meurt dans ses bras en lui confiant la clé de leur maison. Erin, qui l’a retrouvée attachée au journal de son grand-père, se donnera pour mission de la rendre à qui de droit. Transmission et métaphore. Erin/Len ont un péché originel (du gouvernement britannique) à effacer par rapport aux Arabes de Palestine.

Même rédacteur·ice :

Le Serment (The Promise)

Minisérie en quatre parties de Peter Kosminsky
Royaume-Uni , 2011, 360 minutes