À la recherche de la recette
La rentrée littéraire est placée sous le signe du Feel Good Book avec le dernier roman de Thomas Gunzig. Il nous livre ici une « satire sociale » distrayante mais qui ne manque pas de piquant.
D’un côté, il y a Alice. Issue d’une famille modeste, elle a eu l’habitude de vivre « tout juste » au niveau financier. Alors qu’elle est dans la quarantaine, elle se retrouve brusquement sans emploi quand ferme le magasin de chaussures dans lequel elle a travaillé pendant 30 ans. Seule avec un enfant à charge, difficile de joindre les deux bouts. Elle tente alors toute sortes de petits boulots mais ça ne fonctionne pas : elle n’est plus « tout juste », elle est bien en dessous. Jusqu’où peut-on donc aller quand l’argent vient à manquer et que la chance n’est pas au rendez-vous ?
Ce n’est pas que je voudrais être riche, j’aurais rien contre, évidemment, mais c’était pas le but. C’est juste que le monde étant comme il est, on ne sait pas y vivre sans argent. Et si vous ne me croyez pas, vous n’avez qu’à essayer. C’est juste pas possible.
De l’autre côté, il y a Tom. Il découvre la littérature un peu par hasard à l’école et décide de devenir un auteur à succès. Auteur, il le devient. Le succès, par contre, il ne le rencontrera jamais. Il vivote de livre en livre, publié par habitude dans une petite maison d’édition. Petit à petit, il a complètement perdu l’espoir de percer mais continue à écrire car « il ne sait rien faire d’autre ». Il écrit ses romans bizarres en sachant qu’ils ne marcheront pas tout en s’inquiétant au sujet de son compte en banque.
Les routes de ces deux personnages, un peu perdus mais volontaires, vont finir par se croiser. Alice veut prendre son destin en main en se lançant dans une folle aventure. Elle propose alors un projet un peu fou à Tom, qu’elle ne connait pas encore :
Ce qu’on va faire, c’est un braquage. Mais un braquage sans violence, sans arme, sans otage et sans victime. Un braquage tellement adroit que personne ne se rendra compte qu’il y a eu un braquage…
Thomas Gunzig nous avait déjà habitué à l’absurde dans certains de ses romans. L’élément incongru se décelait alors très clairement dans le récit ou dans la description des personnages. Ici, on se trouve face à un autre type d’absurde qu’on ne perçoit pas tout de suite. Dans le déroulement du récit, les multiples expériences et combines d’Alice pour réussir à subvenir à ses besoins et à celui de son fils semblent être les seules options pour elle. Avec le recul, l’absurdité de cette situation se dévoile. Gunzig critique une réalité en opérant une démonstration par l’absurde. C’est ici qu’entre en jeu la thématique sociale, chère à l’auteur. Le récit est bien ficelé : on est happé dans le quotidien d’Alice et c’est une fois le livre refermé que le procédé saute aux yeux.
À travers le personnage de Tom, Thomas Gunzig nous livre également les angoisses et les secrets du métier d’écrivain. Il lève une petite partie du voile sur cette vie d’art et d’écriture, souvent trop idéalisée. Sans le succès, vivre de l’écriture n’est pas aussi idyllique que la figure romantique du grand écrivain le laisse imaginer. Pour pouvoir arrondir ses fins de mois, Tom fait des petits boulots qui, eux aussi, tournent à l’absurde…
Il se doutait que tous ces textes, pour lesquels on le payait en général une centaine d’euros, n’étaient que rarement lus. Leur fonction était de simplement remplir un espace dans une publication qui n’intéressait personne mais pour laquelle le centre culturel ou le théâtre ou « l’acteur culturel » quelconque recevait un maigre subside qu’il fallait bien justifier.
Thomas Gunzig réussit finalement, avec Feel Good , à livrer un récit entrainant. Sa plume est légère et la lecture avide. Il insère certaines piques dans son récit mais ne tombe jamais dans le ton moralisateur. Malgré son thème et son histoire pas toujours très gais, Thomas Gunzig parvient, grâce à ses personnages attachants, à faire de Feel Good une chouette lecture pour la rentrée.