critique &
création culturelle
À train perdu
Fuir l’ennui sur les rails canadiens

Dans les régions reculées de l’Ontario, le train rythme la vie de ceux et celles qui habitent ces endroits oubliés. Sur fond d’une enquête farfelue, Jocelyne Saucier nous fait voyager sur les rails canadiens, comme pour nous rappeler la nécessité du train pour les habitants de ces villages méconnus.

Originaire du Nouveau-Brunswick au Canada, Jocelyne Saucier est à la fois journaliste dans la région d'Abitibi-Témiscamingue et auteure de cinq romans à ce jour. En 2011, elle s’est particulièrement distinguée avec Il pleuvait des oiseaux , salué par quatre prix littéraires et adapté au cinéma en 2019. Avec les thèmes de l’isolement de la forêt canadienne, le reportage journalistique et la santé mentale, son nouveau roman réinvestit des sujets déjà explorés dans Il pleuvait des oiseaux .

La Délégation générale du Québec à Bruxelles, inaugurée en 1972, cherche à faire rayonner les intérêts du Québec en Belgique, ainsi qu’au Luxembourg, aux Pays-Bas et auprès des institutions européennes. Du point de vue de la culture, celle-ci fait la promotion d’artistes québécois lors, entre autres, de la Foire du Livre de Bruxelles tenue en distanciel cette année. Pour pallier l’absence d’auteurs québécois, la Délégation a proposé une formule de capsules vidéos sur Youtube. Quelques écrivains et écrivaines, sélectionnés par des libraires québécois comme coups de cœur 2020 ‒ dont Jocelyne Saucier,  ont pu dès lors partager leur travail en interview avec Thierry Bellefroid, journaliste littéraire de l’émission « Sous Couverture » de la RTBF. Interviewée par ce dernier, Jocelyne Saucier propose de découvrir l’Ontario à travers un phénomène méconnu en Europe, les school trains .

La trame narrative de À train perdu est construite autour du personnage de Gladys, une vieille femme originaire de Swastika, quelque part en Ontario, qui semble s’être lancée à corps perdu sur les rails. Son voyage, dans une fuite étonnamment contrôlée et réfléchie, l’emmène dans un premier temps sur les traces de son ancien school train , de Sudbury à Chapleau en passant par Metagama. Fille d’un éducateur de school train , école itinérante visitant mois par mois ces villages canadiens reliés uniquement par les rails, Gladys a vécu au son des touk-e-touk des trains de passage.

« Tout leur arrivait par train. Les vivres, le courrier, les commandes de chez Eaton, un visiteur de la lointaine famille, les bonnes et mauvaises nouvelles, les jeux, le rêve et cette merveilleuse école sur roues. « On pleurait de joie quand on voyait arriver le school train . » »

Gladys ne sera jamais rencontrée, mais toujours racontée par ceux et celles qui l’ont côtoyée. Des personnages dont l’identité est intrinsèquement liée à leur région, à leur village et à cette forêt canadienne qui semble si loin des grandes villes. Une sorte de tristesse latente se dégage de ces habitants nés dans ces endroits reculés qui, par la force des choses, sont presque comme coincés dans leur village ‒ car qui voudrait racheter leur maison située dans ces régions si peu peuplées ? Cette tristesse, comme une mélancolie des temps passés (mais lesquels…?), sera présente durant toute la lecture.

Cette tristesse, c’est aussi celle de ce narrateur sans nom à la vie plutôt morne, professeur d’anglais à Senneterre, qui s’improvise enquêteur en retraçant l’errance de Gladys sur les rails. Sa seule justification tient dans sa présidence de SOS Transcontinental, une association qui cherche à lutter contre la disparition progressive des trains du Nord en Ontario. SPOILER1 Une autre justification tient sans doute aussi dans l’ennui de sa vie partagée par la plupart des personnages qu’il croise.

« Senneterre est une petite ville où il ne se passe rien à part son festival forestier et les allées et venues des trains devant la gare. Le hasard a voulu que j’y naisse et l’enchaînement des jours ou mon absence de détermination aura fait que j’y suis encore. »

À train perdu n’est pas un roman qui se lit facilement. L’errance narrative est telle qu’elle peut perdre un lecteur trop impatient de comprendre les motivations des personnages principaux. Pour moi, la multiplication des thèmes m’a égarée plus qu’autre chose : la morosité des villages reculés, le school train , l’errance de Gladys, sa fille suicidaire, l’histoire d’amour avorté du narrateur... Bref, il est difficile de résumer ce roman vu le nombre d’anecdotes, de souvenirs et de digressions présents dans le récit du narrateur. Et puis, il y a cette mélancolie latente et cette absence de résolution qui m’angoissent personnellement. La monotonie est telle que j’aurais fait comme Janelle, l’amour de passage du narrateur, en prenant mes affaires pour partir loin de cette langueur.

Même rédacteur·ice :

À train perdu

Jocelyne Saucier
Éditions XYZ, 2020
255 pages