critique &
création culturelle
James Ellroy
le pape du roman noir à Bruxelles !

Passa Porta, la Maison internationale des Littératures, a transféré l’une de ses soirées de la rue Dansaert vers le mythique Studio 4 du paquebot Flagey. En prélude au Festival America of Vincennes 1 .

L’extraordinaire James Ellroy, immense narrateur et grand styliste, est annoncé. Lui dont tous les livres sont des chefs-d’œuvre (voir mes articles passionnés à propos du

Dahlia Noir

et d’

Underworld USA

). Ni une ni deux, on y va ! Et tant pis si mon anglais est… disons… limité.

… à Flagey

19 h 45. Sous un soleil estival, ce mercredi 7 septembre, une place Flagey en fête, noire de monde, le Belga submergé, des transats en appoint.

20 h 15. Passa Porta s’est fait une spécialité de susciter des débats sur les grandes questions qui secouent notre société. La première partie de la soirée n’y déroge pas, qui voit quatre écrivains américains interrogés par Frank Albers, un professeur d’université anversois formé à… Harvard et Oxford. Ces auteurs ont abordé des tranches d’histoire nationale dans leurs livres (David Treuer a vécu dans une réserve indienne, Kevin Powers a participé à la guerre en Irak) et devront évoquer l’actualité de leur pays à quelques semaines des élections présidentielles, à quelques jours du quinzième anniversaire des attentats du 11 septembre. Des échanges de bonne tenue, teintés d’humour, avec une passe d’armes entre femmes, quand Jane Smiley stigmatise l’ignorance de son concitoyen lambda et se voit bousculer par la jeune Rashel Kushner, qui dénonce  l’arrogance d’une certaine intelligentsia. Typiquement américain ? Hum…

21 h 30. Un break bienvenu au beau bar du paquebot Flagey. Qui m’inspire une observation sociologique. Il y a foule mais… on n’entend quasi parler que néerlandais. Alors que nos amis flamands sont si minoritaires à Bruxelles. Faux paradoxe : la Flandre nourrit un repli identitaire à travers une fraction conséquente de sa population mais tout autant une ouverture, à travers d’autres (et, qui sait, parfois les mêmes ?) bien plus grande sur le monde moderne, international. Je pourrais, dans la foulée, m’appesantir sur mes carences linguistiques et soulever un débat sur l’étude des langues en communauté francophone. J’en resterai, pétrifié, à l’image du seul francophone identifié… endormi juste devant moi.

21 h 50. James Ellroy apparaît en compagnie du bien connu Jérôme Colin (RTBF radio et télévision), qui jouera les modérateurs, rôle qui a rarement aussi bien porté son nom vu la réputation sulfureuse du prodige littéraire en interview. James aboiera-t-il cette fois ? Il a de ces dérapages…

De fait, ça commence fort. Jérôme Colin présente Ellroy et évoque ses seize romans, l’Américain le coupe : « Seize chefs-d’œuvre ! Le dernier, Perfidia , est le meilleur, « a masterpiece », le suivant sera encore supérieur. » Colin veut le titiller sur sa… confiance en lui, mais son interlocuteur est inébranlable : « Je ne mens jamais […] j’ai un contrat de confiance avec Dieu, les éditeurs, mes lecteurs pour leur donner le meilleur […]. »

Jérôme Colin fait de son mieux pour assurer un cadre car le fauve est lâché. Et il y parvient, notre animateur. Le débat s’avère intéressant et même émouvant. Malgré le show d’Ellroy (qui s’inscrit dans une mouvance américaine où l’auteur est souvent un excellent communicateur, assumant un rôle), sa gestuelle, ses envolées, on observe une profonde empathie du grand homme pour son public (il articule incroyablement son anglais d’Amérique pour nous faciliter la compréhension) et on décroche quelques perles, secrets de fabrication ou mystères d’une âme.

Ainsi, Ellroy réalise deux moutures de chaque opus : un premier jet (des centaines de pages), pour structurer/détailler le récit, prend dix mois ; un second un an et demi, qui consiste à animer pleinement la narration en individualisant les personnages (chacun aura sa voix !), en soignant les dialogues.

Comment être aussi génial dans chaque livre et aussi productif en sus ? Simple ! Se couper quasi entièrement du monde moderne (pas de mobile, de PC, de télé chez James) et vivre reclus entre 1941 et 1972 ; travailler « comme un rat qui se faufile dans les égouts » (du crime, de l’obsession sexuelle), huit à quatorze heures par jour, en sachant que le temps nous est compté (« La mortalité commence à me mordre le cul ! ») !

Il faut l’entendre raconter sa jeunesse dramatique (meurtre non élucidé de sa mère à dix ans, délinquance, alcool et drogues… avant la Rédemption), sa volonté de survie et de bonheur, son rapport à l’ américanité (tout à la fois naïve et lucide), ses futurs projets…

Avec une apothéose à tomber. Quand Jérôme Colin lui demande (ou plutôt quand Ellroy demande à Colin de lui demander…) pourquoi il écrit, il récite soudain un poème de Dylan Thomas, Mon art morose . Qui signifie qu’il écrit pour… apprendre à aimer.

Une soirée très agréable habitée par des moments de grâce. Que demander de plus ? Eh bien… j’ai pu observer mon idole à deux mètres et bavarder longuement avec son ex-épouse et meilleure amie, Helen Knode, auteure adorable et francophile, qui va remettre et traduire mes articles à celui qu’ils encensent. Des seeeeeeeeeeels !

L’interview d’Ellroy dans l’émission Entrez sans frapper : séquences questions-réponses :

https://www.youtube.com/watch?v=cF3N_kPeJqg&t=306s

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