critique &
création culturelle
Tomino la maudite
Un cirque du malheur

La nouvelle œuvre de Suehiro Maruo, Tomino la maudite , un manga qui mélange le monde du cirque et celui de deux orphelins à la recherche du bonheur, arrive en librairie. Le grand maître du manga vient secouer les lecteurs et redéfinir le courant érotico-grotesque qui, loin d’être un courant simpliste, invite à une œuvre des plus mémorables.

Dans le Tokyo des années 1930, les jumeaux Shoyu et Miso sont rudement traités par la vie. Après avoir été abandonnés par leur mère et malmenés dans leur famille de remplacement, ils sont vendus à un cirque de curiosités. Dans cet endroit rempli d’individus plus étranges les uns que les autres, ils se font de nouveaux amis qui finissent par s’apparenter à une famille déjantée. Le mangaka Suehiro Maruo nous emmène dans son univers érotico-grotesque qui ne laisse pas indifférent. La dimension érotique est insuflée à travers le style de dessin de l’auteur. Certes, quelques scènes à caractère sexuel affirment cela directement, mais déjà dans les scènes de vie courante apparait une volonté d’introduire la dimension érotique. Associé à cette dernière, le grotesque ne semble jamais loin. La nudité traitée de cette manière semble vite dérangeante pour le lecteur, tandis qu’il est mis face à un univers déroutant. S’interrogeant, il se trouve alors en mal de savoir si ce qu’il voit est beauté ou cruauté.

Les jumeaux sont loin d’être chanceux. Semblables aux orphelins Baudelaire de Lemony Snicket, toujours mis face à de nouvelles catastrophes, ils doivent affronter la cruauté du monde. Tous les autres personnages semblent bien décidés à leur mettre des bâtons dans les roues, tandis que les jumeaux se contentent de tenter de survivre. Alors que rien ne se passe comme ils le voudraient, le lecteur découvre le monde caché des cirques de curiosité et toutes leurs dérives. Face à des scènes glauques, choquantes ou parfois simplement étranges, l’histoire même des jumeaux en devient presque inintéressante. D’autres personnages, plus charismatiques, prennent le dessus malgré leurs brèves apparitions, comme le maître du cirque, Wang, qui devient vite le centre de l’attention et des interrogations. La fameuse Utako Utawaga, qui n’apparait que durant de brefs instants, attire aussi la considération du lecteur. Finalement, les personnages qui pourraient être pris pour secondaires sont ceux qui donnent un véritable mouvement à l’histoire.

Le style de l’auteur reste assez fluide et simple pour que les lecteurs les plus novices en la matière arrivent à suivre. En effet, les traits des dessins sont clairs, les mouvements bien définis et les personnages facilement reconnaissables malgré le fait qu’ils soient nombreux. Contrairement à certains mangas où la compréhension de base est rendue difficile à cause du style pictural de l’auteur, ici le lecteur peut suivre l’histoire facilement. Pourtant, Tomino la maudite convient à tous, car même les spécialistes du genre y trouveront la marque de fabrique de l’auteur, celle qui l’a fait connaitre à travers la francophonie. Révélant la vérité crue, les dessins frappent le lecteur immédiatement et lui indiquent la particularité de ce mangaka qui manie aussi bien l’érotisme que le grotesque. Le mouvement ero guro auquel appartient l’auteur est d’ailleurs caractérisé par ce mélange particulier entre érotisme, éléments macabres et grotesque. Il apparaît dans les années 1930 et revient aujourd’hui en force avec cette nouvelle œuvre de Suehiro Maruo.

Alors que Shoyu et Miso, les deux personnages principaux, nous inspirent de la pitié dans un monde rempli de cruauté, les autres se contentent d’exister dans leurs particularités et de nous montrer la part d’ombre qui existe dans chaque homme. Frappé par les démonstrations d’érotisme dérangeantes, les scènes de sexe rendues perturbantes, les violences vicieuses, le lecteur est plongé dans un univers nouveau, entre le cirque et le camp de concentration, déchiré entre le beau, le drôle et l’affreux.

Ce premier volume introduit donc l’histoire sans nous en dire beaucoup plus sur la signification du titre Tomino la maudite . Un second tome est déjà prévu pour le mois de mai 2021. Les grandes lignes sont tracées, les personnages sont présentés mais de nombreuses questions restent sans réponse. Le style de l’auteur suffit à lui seul à donner de la valeur à ce premier tome, mais l’histoire semble ne pas encore avoir pris vie. Le volume suivant se chargera sans doute de répondre aux interrogations qui se créent pour le lecteur. Chaque personnage semble plein de potentiel, prêt à nous raconter son histoire.  Pour cela, il nous faudra pourtant attendre une suite…

Même rédacteur·ice :

Tomino la maudite , volume 1

Par Suehiro Maruo
Éditions Casterman, 2021
336 pages