Au début je ne voulais pas vraiment m’essayer à cet exercice, je ne veux plus penser à ce temps étrangement vaporeux, sorte de confort inquiétant mêlé d’apathie et d’amertume. Comme beaucoup, j’ai l’impression d’avoir été trahie, d’avoir été coupée dans mon élan. Comment cela a-t-il pris de telles proportions ? La culture est nécessaire, elle rend notre quotidien tolérable. L’angoisse de ne pas savoir quoi faire de ses week-ends est devenue pesante. Certains disent qu’on a oublié la nature. Je n’ai jamais fait autant de randonnées ou de promenades de ma vie.

Aussi, ironiquement, la dernière pièce de théâtre à laquelle j’ai assisté à la toute fin de février, était The Children de Lucy Kirkwood, un récit catastrophe environnementaliste et social. Je sentais déjà, parmi tous ces gens dans la salle, que je n’y remettrais sans doute pas les pieds avant longtemps. Cette même semaine, nous sommes allés danser et écouter une amie DJ dans une boîte de nuit bondée et transpirante, puis nous avons vu un film dans un minuscule cinéma d’art et d’essai. Un film plutôt drôle, la séance était pleine : les gens savaient, ils sont sortis. Un week-end normal pour moi, nouvellement emménagée à Bristol. Il faut souligner que j’y ai déménagé par amour, mais aussi par goût de la musique et de sa scène culturelle.

La Grande-Bretagne n’étant entrée en confinement que dix jours après le reste de l’Europe, ce fut d’autant plus étrange de voir mes amis s’étonner, commenter, parfois paniquer. Nous avons reconnecté via Skype, pris le temps (il y en avait) de se (re)parler. J’ai vraiment profité de ces moments que je n’aurais pas vécus dans d’autres circonstances. Je ne suis pas vraiment du genre à rester sur les réseaux très longtemps. Mon travail me pousse plutôt à sortir de derrière mon ordinateur. Le bruit des ados et de l’école la semaine, les concerts et les cafés la fin de semaine, ou le chuchotement de la nature dès que je peux. De nombreux proches des deux côtés de la Manche ont perdu leur travail, leur passion. Je ne peux qu’être admirative de leur combat, une mauvaise passe pour eux, sans salaire et avec très peu d’aides, ; de mon point de vue privilégié, je partage et comprends tout de même leur souffrance. Ma peine était de ne pas pouvoir voyager, revenir à Bruxelles, aller au Kinograph, le cinéma cofondé par mon amie Clara, ne pas aller à la Cinematek et ne pas pouvoir aller me détendre au Bota en écoutant un groupe de rock. Oubliées, les expos au Bozar, les films décalés au Ciné Nova.

Intellectuellement, culturellement, il a fallu échanger entre nous, revoir, relire des classiques, écrire, échanger, apprendre ou réapprendre. Un peu de tout, une langue ou deux, des fléchettes, de la boxe, savoir cuisiner plus de quatre plats (enfin), s’occuper surtout.

Je déteste changer mes plans, j’espère que 2021 ne va pas m’y contraindre/ au Nouvel An en 2019, je n’avais pas trinqué à ça.