Rétrospective culturelle 2022
Top 5 subjectif des pépites de la vie culturelle bruxelloise, concentré sur ces cinq derniers mois (parce qu’il a fallu attendre le grand retour au plat pays de la culture et de moi-même après des mois de restrictions pour l’une et d’excursions pour l’autre). Certaines sont de niche, d’autres sont de notoriété publique, dans tous les cas ces pépites sont à découvrir et dévorer sans modération !
Fire of love, Sara Dosa — juillet
Qui a dit qu’un docu’ ne pouvait pas être hot ? Fire of love est un documentaire américo-canadien réalisé par Sara Dossa et distribué par National Geographic. Il retrace l’incandescente histoire d’amour entre Katia et Maurice Krafft, deux vulcanologues français qui ont consacré leur vie à l’étude des volcans et à la diffusion du savoir scientifique dans ce domaine. Entre fiction, images d’archives et lectures de carnets de bord, ce vulcano-movie nous plonge dans le quotidien brulant et halluciné de ce couple de passionnés. Les images, souvent réalisées par les Krafft eux-mêmes, sont d’une beauté saisissante ; le duo d’intrépides a campé de nombreuses nuits au pied de la lave en fusion pour photographier les éruptions. En même temps que l’on découvre ces précieux clichés, leurs voix off nous dévoilent les origines et les mystères de cette nature furieuse. Il en ressort une réflexion lucide et poétique sur l’amour et le temps, l’humanité et la nature.
En une nuit – Notes pour un spectacle, Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro-Meyer — novembre
Quand le théâtre imagine le théâtre… Cette pièce produite et interprétée par un quatuor belge raconte Pier Paolo Pasolini. L’artiste italien éclectique des années 60 est connu notamment pour son engagement marxiste et pour sa critique de la société de consommation qui émerge dans l’Italie d’après-guerre. Parce que sa lucidité dérangeait, Pasolini a été assassiné dans la nuit du 2 novembre 1975. Plutôt que de raconter sa vie, la troupe prend justement comme point de départ sa mort et, à partir de là, imagine un spectacle. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une pièce qui parle de Pasolini, mais d’une pièce qui explore les différentes manières de raconter Pasolini, en variant les costumes, les décors, les musiques et les jeux d’acteurs. À travers cette envolée théâtrale loufoque, on découvre un homme, une pensée et une époque, le tout dans un tourbillon d’humour et de poésie. La pièce est lumineuse, intelligente, drôle, historique, actuelle, politique… et j’en passe. Il faut absolument aller la voir, et fort heureusement c’est encore possible car les représentations se poursuivent en 2023 à Liège , Charleroi et Tournai !
Dreaming walls: Inside the Chelsea Hotel, Amélie van Elmbt et Maya Duverdier — novembre
Une hôtel légendaire new yorkais raconté par ceux qui ne l’ont jamais quitté. Ce documentaire de réalisation belge raconte le Chelsea , hôtel mythique de Manhattan jadis cœur névralgique de l’art bouillonnant et de la contre-culture des années 60. Pour en donner une idée, entre autres grands artistes, ont séjourné entre ses murs alors sacrés Patti Smith, Janis Joplin ou encore Stanley Kubrick… Aujourd’hui sous la coupe d’un capitalisme ravageur, le Chelsea est en rénovation depuis plus de dix ans. Pourtant, en dépit du raffut incessant des marteaux piqueurs et des stratégies fourbes des actionnaires pour vider ce lieu de toute forme de vie non rentable, une escouade de passionnés résiste. Sous formes d’interviews, ce sont ces résidents oubliés et fantasques qui nous confient les secrets bien gardés de cet eldorado en ruine. Et en même temps qu’ils racontent le passé, on découvre leur présent. Celui d’un combat à huis clos pour l’art, la mémoire et l’authentique ; contre le profit, l’individualisme et l’uniformité.
Phoenix en live, Ancienne Belgique — novembre
Nul besoin de présenter Phoenix… Impossible pourtant de résister au plaisir d’en parler ! Originaire de Versailles, Phoenix est un des groupes français les plus renommés à l’international, devenu une référence incontournable de la scène indie rock et electro-pop. Cinq ans après Ti Amo, il fait son grand retour avec Alpha Zulu . Ce nouvel album n’est peut-être pas aussi épatant que Wolfgang Amadeous Mozart , mais on est ravi de retrouver le rock élégant et les envolées électro travaillées qui faisaient déjà son charme en 2009. Surtout, Phoenix réunit de sacrées bêtes de scènes. Leur prestation à l’Ancienne Belgique en novembre dernier était électrique et certains titres en sont ressortis sublimés, je pense notamment à « Tonight » ou encore à « Artefact ». L’esthétique de ce concert était tout aussi hallucinante, un joli clin d’œil à l’artwork générale de l’album inspirée par la peinture de la Renaissance italienne. Ils seront dans beaucoup de festivals cet été, je ne peux que recommander d’aller s’envoler sur le groove aérien de ce groupe légendaire !
Eo, Jerzy Skolimowski — octobre
L’artiste polonais Jerzy Skolimowski a reçu le prix du jury au festival de Cannes pour ce nouveau film. L’intrigue s’inspire du film Au Hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson et suit le destin tragique d’un âne prénommé Eo. Les mésaventures de cet être vagabond sont prétexte à la peinture de la bêtise humaine. Chaque nouveau propriétaire introduit une nouvelle réalité ; souvent cruelle, parfois apaisée, jamais éternelle. En rupture avec cette humanité violente, des images d’une puissance vertigineuse révèlent la beauté du monde vivant et de l’animalité qui l’anime, et entrainent le spectateur dans une dimension presque fantastique. Les prises de vue des paysages polonais et italiens sont à couper le souffle et la musique qui les accompagne, brassant instrumentalisation classique et sons électro, sert cet étourdissement. Alternant sublime et monstrueux, imaginaire et réalisme , Eo défend de manière originale la cause animale et la préservation du monde sauvage, tout en évitant les écueils du sentimentalisme excessif et de la description mécanique.